Analyse économique

mars 2017

Pourquoi en économie aussi, les gens se laissent-ils bercer par les sirènes du populisme ?

L’histoire économique regorge d’expériences populistes qui se sont toujours soldées dans la douleur pour les populations. Et pourtant, à intervalles réguliers, ces politiques semblent retrouver du crédit auprès d’une partie des populations. Dans un article1 paru en 1991 et devenu un classique de l’économie depuis, Rudiger Dornbusch et Sebastian Edwards apportent des éléments de réponse. L’article est l’introduction d’un volume consacré aux aspects macroéconomiques des expériences populistes en Amérique latine. En effet, ces pays ont eu longtemps, et de manière récurrente, recours à ce genre de politiques.

Les auteurs définissent une politique économique populiste comme une politique qui donne la priorité à la croissance et la redistribution des revenus au détriment de la prise en compte des risques liés à l’inflation, au déficit budgétaire, aux contraintes externes et à la réaction des agents économiques à des politiques agressives. L’expérience populiste commence toujours par une profonde insatisfaction avec les conditions économiques d’un pays : croissance jugée trop faible ou présence de fortes inégalités de revenus.

Un des faits saillants de ces politiques est de rejeter l’existence de contraintes sur la politique économique. Selon cette logique, l’expansion économique n’est pas inflationniste, d’autant qu’il est toujours possible de peser sur les prix et sur les marges des entreprises par le contrôle des prix. En effet, l’objectif de ces politiques est toujours d’augmenter fortement le salaire réel, de créer des emplois et d’accélérer la croissance. Pour ce faire, elles reposent généralement sur des politiques de relance. Ces politiques souhaitent limiter les dévaluations pour éviter le renchérissement du coût de la vie. Les autorités ont recours à la planification et au contrôle pour s’assurer de la tenue de leurs objectifs.

Les auteurs distinguent quatre phases dans la mise en œuvre de ces politiques. Dans la première, l’économie se retrouve effectivement stimulée par des mesures : la croissance accélère, l’inflation reste stable et les éventuels manques sont comblés par des importations. Tout semble confirmer la pertinence de ces mesures : croissance et consommation s’améliorent. Dans la deuxième phase, on commence à observer des goulets d’étranglement et des déséquilibres extérieurs qui rendent une dévaluation et un contrôle des changes nécessaires. L’inflation commence à accélérer, les salaires suivent et le déficit budgétaire commence à augmenter du fait des mesures de soutien et de subvention. Dans la troisième phase, l’économie subit des sorties de capitaux et se démonétise, ce qui accroît les pressions sur le budget. La situation devient intenable, ce qui mène à la quatrième phase qui est celle d’une stabilisation orthodoxe de l’économie, souvent sous l’égide du FMI, qui amène une forte baisse des salaires réels afin de rétablir l’équilibre, baisse d’autant plus forte que ces politiques ont découragé l’investissement. Comme le rappellent crûment les auteurs, « le capital peut fuir de mauvaises politiques, pas le travail ». La situation des populations est souvent pire qu’avant le début de l’expérience populiste. Politiquement, cette quatrième phase passe souvent par un changement de gouvernement; les auteurs citent une analyse cruelle de l’économiste Paul Rosenstein-Roda : « Salvador Allende n’est pas mort parce qu’il était socialiste, mais parce qu’il était incompétent. »

Mais alors pourquoi la tentation de ces politiques revient-elle si souvent ? Sur la base des expériences latino-américaines, les auteurs déclarent qu’il n’y a, en général, qu’une faible capacité ou volonté d’apprendre des expériences des autres pays et que les populations comme les dirigeants finissent par oublier les erreurs du passé quand elles ne sont pas de leur génération. Par ailleurs, les tenants de ces politiques affirment toujours que les circonstances de leurs pays sont uniques et que les contraintes économiques n’existent pas vraiment : dans un monde affranchi des règles de l’économie, ces politiques ne peuvent que fonctionner ! Comme le rappelle un chapitre du rapport 2017 de l’European Economic Advisory Group, ces politiques permettent aussi aux politiciens qui les promeuvent de se distinguer de l’élite. Toutes choses qui s’avèrent payantes sur le plan électoral.

Dans un éditorial du 7 février 2017, Andrés Velasco, ancien ministre des finances du Chili et professeur à l’université de Columbia, développe une idée implicite dans l’article de Dornbusch et Edwards. Les auteurs constatent que les politiques populistes finissent toujours par échouer, mais Velasco rappelle que le délai avant que cet échec ne se produise peut être long, parfois plusieurs années. Autant d’années où ces politiques semblent réussir, mais aggravent les déséquilibres des économies.

Une solution simple à des problèmes compliqués, une politique apparemment au service du peuple et non des élites, et une première phase favorable qui peut durer longtemps. Autant de choses qui rendent ces politiques séduisantes avant un retour au réel toujours douloureux… Et ces politiques populistes qu’on nous propose aujourd’hui, ne sont- elles pas la poursuite d’une politique populiste mise en œuvre en France depuis plus de 20 ans, mais qui n’a jamais dit son nom ?

1The macroeconomics of populism, Rudiger Dornbusch and Sebastian Edwards, The Macroeconomics of Populism in Latin America, Conference held May 18-19, 1990 Published in January 1991 by University of Chicago Press © 1991 by the National Bureau of Economic Research

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