Parole d’entrepreneur

juillet 2021

Augustin Jaclin – Cofondateur de Lemon Tri et de Lemon Aide Entrepreneur, au premier degré avec préméditation

Fraichement diplômé de l’EDHEC, Augustin Jaclin saute la case « Faire ses armes dans un grand groupe » pour créer avec son copain de maternelle une entreprise qui leur ressemble.

L’exemple d’un père entrepreneur dans les nouvelles technologies, puis dans la communication et aujourd’hui dans le tourisme a probablement influencé les choix professionnels de sa fratrie ; deux de ses trois frères sont aussi créateurs d’entreprise.

Monter des projets est une aventure familiale chez les Jaclin. Depuis des années, l’organisation régulière de road trips à vélo avec toute la famille est toujours une merveilleuse occasion pour l’équipée de concevoir des projets ensemble, de planifier et de préparer itinéraires, équipements et logistique…

La fibre entrepreneuriale d’Augustin se développe dès le lycée avec un premier projet de cadre photo numérique grand format, puis se conforte à l’EDHEC où il décide de suivre le cursus entrepreneur. Avec l’idée dès le départ de créer son entreprise.

L’EDHEC sera un véritable labo pour Augustin où il multiplie prix et récompenses dans le domaine de l’entrepreneuriat responsable. Avec son projet Sirocco : « …un vent chaud qui sèche le corps en 1 minute façon Dyson… », il part à New York soutenir son dossier devant le Jury de Columbia Engineering. Déjà une première démarche écologique pour lutter contre la consommation d’eau liée au lavage des draps de bain.

Lemon Tri voit le jour lors de la dernière année EDHEC d’Augustin. Un projet qu’il construit depuis un moment avec son copain de toujours Emmanuel Bardin, qui finit Dauphine de son côté. Ils s’étaient jurés de monter une entreprise ensemble.

Pour les deux compères le moment est parfait pour se lancer dans l’aventure : peu d’engagements financiers, pas encore de famille, et des besoins réduits au strict nécessaire.

Avec Lemon Tri l’idée est d’innover dans le secteur du recyclage et de changer les habitudes. Lemon Tri conçoit au départ des machines de tri intelligentes et incitatives pour optimiser la collecte et le traitement des emballages de boisson. C’est aujourd’hui un système complet de gestion des déchets.

En 2016, alors que l’activité connaît une forte croissance, Emmanuel et Augustin s’associent à la Fondation Agir contre l’Exclusion et à Danone pour cofonder Lemon Aide, une entreprise d’insertion sociale qui forme tous les ans une vingtaine de personnes aux métiers de l’économie circulaire. 

Aujourd’hui, Lemon Tri réunit une équipe de 75 salariés – dont 25 en insertion – répartis sur 4 sites : Pantin, Marseille, Lille et Lyon, pour un chiffre d’affaires de 4 millions d’euros.

1) Pourquoi être devenu entrepreneur ?

J’avais envie de créer quelque chose, en partant de zéro.
Être son propre patron est une forme de liberté, même s’il existe des contraintes. C’est formidable de pouvoir choisir un projet qui nous correspond, de recruter les gens qui vont travailler à nos côtés, de donner un maximum de sens à notre activité, de fixer le cap du bateau.
C’est ce qui nous a permis tout juste sortis d’école de dire qu’on allait développer un projet visant à ramasser et recycler des poubelles, avec une dimension sociale. Et nous, sur un secteur d’activité qui ne parlait à personne il y a 10 ans, nous avons décidé de faire notre truc !

Entreprendre correspond bien aussi à mon côté « couteau suisse ». En créant et en développant des projets on touche à beaucoup de choses. C’est une vision à 360° de l’entreprise que je trouve stimulante et riche.

Et puis lorsqu’on crée son entreprise on rencontre beaucoup de gens, très différents. Nous avons été très soutenus dans notre projet avec beaucoup de bienveillance. Nous avons beaucoup parlé de notre projet dès le départ, sans crainte et sans cacher nos cartes. Nous avons bénéficié en retour de nombreuses mises en relation et de nombreux coups de main. Nous avons aussi mis à profit les réseaux incubateurs auxquels nous étions rattachés.
L’accès est plus facile à d’autres entrepreneurs chevronnés ou même à certains grands patrons qui sont ouverts pour échanger.. Plusieurs nous ont donné des conseils très utiles. Par exemple, nous avons eu l’occasion, avec d’autres entrepreneurs, de passer deux heures avec Michel Landel, patron de Sodexo, qui souhaitait s’entretenir avec de jeunes créateurs innovants. Entre 2012 et 2014 nous avons été invités 3 fois à l’Élysées – deux fois pour un rapport sur « l’économie positive » et une fois avec le Moovjee pour encourager l’entrepreneuriat chez les jeunes – pour des réunions de travail avec le Président de la République. Il n’y a que l’entrepreneuriat qui permette de se retrouver dans ce genre de situations !
C’est d’autant plus intéressant pour des primo-entrepreneurs comme nous car cela agit comme une rampe d’accélération pour acquérir de l’expérience.

2) Le chef d’entreprise est-il le seul à entreprendre ?

Non, entreprendre est un état d’esprit qui va bien au-delà de la sphère économique.
Cet état d’esprit, cette énergie d’entreprendre, partagé au sein de l’entreprise, est essentielle pour mener à bien le projet.

Si l’on reste dans la sphère économique, le sujet du risque est déterminant. C’est ce qui différencie l’intrapreneur de l’entrepreneur. L’entrepreneur ne bénéficie pas du filet de sécurité du salaire qui tombe à la fin du mois et engage son propre patrimoine. Il existe donc un lien fort entre son activité et sa vie personnelle.

Un exemple récent est l’ouverture de notre nouvel entrepôt à Lille où j’ai finalement dû laisser ma caution personnelle pour obtenir le bail. Il est difficile d’imaginer qu’un autre membre de l’organisation puisse accepter de prendre ce genre de risque. De notre côté, on souhaite avant tout que les choses avancent. On accepte un niveau de risque plus élevé parce qu’on dispose aussi des informations permettant de mesurer ces risques que d’éclairer nos décisions.

3) Pour vous, qu’est-ce que la création de valeur ?

Je ne suis pas totalement aligné avec l’approche de J-B. Say sur la valeur.
Il faut bien entendu qu’il y ait création de valeur économique. Nous sommes d’ailleurs très à l’aise avec cette recherche de rentabilité, synonyme d’autonomie et de capacité d’investissementNotre entreprise crée de la valeur pour ses salariés et pour ses actionnaires, mais pas que.
Et surtout pas que.

Je suis convaincu que pour créer une vraie valeur et pour qu’une société se développe durablement aujourd’hui il faut être capable de créer de la valeur simultanément dans les trois dimensions, économique, sociale et environnementale.
Ce qui sous-entend aussi un partage de la valeur créée qui soit aussi plus équilibré entre les différents acteurs.

Nos actionnaires sont engagés dans l’impact investing. Ils prennent en compte ces dimensions et ils acceptent un rendement financier inférieur à ce qu’ils pourraient obtenir sur le marché. Parce qu’une partie de la valeur créée est injectée dans un projet social, dans un partage plus équitable, ou dans la prise en compte d’enjeux environnementaux. Produire plus propre coûte un peu plus cher en général. L’arbitrage dans l’allocation de la valeur créée est donc particulier dans notre cas.

Nous sommes agréés ESUS (Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale). Nous sommes engagés dans un processus de certification B-CORP – pour Benefit Corporations- particulièrement exigeant sur la transparence de nos pratiques ESG, sur le partage de la valeur ajoutée, et sur la prise en compte de nos parties prenantes.

Finalement nous participons à une évolution majeure du capitalisme. On parle beaucoup d’entreprises à mission. Nous allons encore plus loin. Aujourd’hui une entreprise ne peut plus se développer au détriment de l’environnement. Quand on relit Jean-Baptiste Say on sent bien que son approche des ressources naturelles n’est acceptable que le monde d’abondance de son époque. Nos ressources ne sont pas illimitées et nous devons les protéger pour éviter de foncer dans le mur. Le sujet actuel de la surpêche en est un bon exemple.

Nous avons fait le choix de nous installer dans des zones difficiles comme la Seine-Saint-Denis ou les quartiers nord de Marseille, où les taux de chômage sont très élevés et où nous créons des emplois et donc des opportunités. Notre objectif est de faire en sorte que la valeur que nous créons infuse dans le territoire : employer localement, s’engager dans les actions de formation, participer à l’insertion sociale via notre filiale Lemon Aide.

Personnellement j’espère que toutes les organisations économiques prendront en compte ces considérations. Une entreprise ne peut plus se contenter de répondre à un besoin exprimé par un client. Uber pour moi est un échec social. Toutes ces plateformes qui se concurrencent pour apporter du service toujours plus rapidement génèrent des situations dramatiques d’un point de vue social.

Je me rappelle aussi avoir été choqué par une déclaration du patron de FaceBook France sur un plateau TV sur lequel j’étais aussi invité lorsqu’il insistait sur le fait que son entreprise respectait d’abord la loi d’un point de vue fiscal en ne payant pas d’impôt en France.

Le temps législatif n’est pas le temps des entreprises, surtout dans le numérique. Les entreprises vont beaucoup plus vite. C’est donc à elles qu’il appartient de prendre les devants sur ces sujets. Les entreprises doivent être proactives en termes d’éthique et de responsabilité.
La loi et la règle ne remplaceront jamais la responsabilité des acteurs économiques. Et pas seulement celle des entreprises. Celle des consommateurs aussi.

D’ailleurs aujourd’hui on voit bien que les repères commencent à changer, notamment au travers des messages publicitaires qui parlent de plus en plus d’engagement, de respect de l’environnement, de production locale.

4) Quelles sont les trois ou quatre mesures à prendre pour améliorer
le développement des entreprises françaises ?

a/ Mettre en place un « Impact Score » pour promouvoir une meilleure visibilité sur les pratiques des acteurs.

Une mesure portée par une association à laquelle nous adhérons : Impact France. Un peu comme les Nutri Scores sur les emballages de produits alimentaires.

Ce scoring favoriserait le développement de certaines entreprises qui font les choses bien et qui bénéficieraient du soutien par un plus grand nombre : les consommateurs, les banquiers, Wles investisseurs, toutes les parties prenantes.

b/ Renforcer le fléchage de certains fonds vers les investissements socialement responsables.

Dans le système d’épargne salariale française il existe une obligation de proposer des produits ISR – Investissement Socialement Responsable – mais qui ne porte que sur une frange assez faible des encours. L’idée serait de renforcer la part investie dans les projets socialement responsables. Elle compte aujourd’hui pour 5 à 10%. En comptant demain pour 10 à 20%, elle deviendrait un levier de financement puissant des projets responsables et inciterait de nouvelles créations dans le sens d’une nouvelle économie aussi plus responsable.

Portée par des acteurs reconnus sur le marché, cette offre permettrait aussi aux salariés de voir leur épargne financer des projets vertueux.

c/ Renforcer l’enseignement de l’économie à partir du primaire et jusque dans les programmes MBA en intégrant l’enseignement de ces nouveaux modèles fondés sur le triptyque valeurs économique, sociale et environnementale.

Montrer que l’on peut créer de la richesse et de la valeur pas uniquement avec des euros. Qu’il s’agit de modèles vertueux qui produisent un bénéfice global pour la société en tirant beaucoup plus de gens vers le haut.

Il faut que les nouveaux dirigeants aient ces dimensions chevillées au corps et que les nouveaux modèles de success story soient différents de ceux des années ’80…

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