Analyse économique

avril 2015

Et si on arrêtait de fantasmer sur les Trente Glorieuses?

L’âge d’or est une figure puissante de l’esprit humain et il y a peu de domaines où l’on ne la retrouve pas. Ainsi dans l’imaginaire politique français, les Trente Glorieuses constituent l’horizon indépassable de l’économie, période bénie où coulaient le lait de la croissance et le miel du progrès.

Il y a de cela quelques années,  deux économistes, appelées depuis lors à des fonctions législatives, écrivaient ainsi que « les Trente Glorieuses sont devant nous »… On attribue souvent la forte croissance de cette période aux vertueuses structures économiques mises en place après-guerre. Dans les faits, il s’agit bien davantage des conséquences du rattrapage du retard de l’économie française par rapport à l’économie la plus avancée à l’époque, celle des Etats-Unis….

Une croissance forte mais tirée essentiellement par la productivité

Il est clair que la performance de l’économie française sur la période est impressionnante : entre 1950 et 1975, l’économie française croît à un rythme moyen de 4,7% : le PIB en volume est multiplié par 3,1 sur la période. Sur le même laps de temps, le taux de croissance moyen de l’économie américaine est de 3,6%, amenant une multiplication par 2,4 du PIB.

Quelles sont les sources de cette croissance ?

Il y a évidemment la démographie, avec une progression de la population de 1,0% en moyenne, mais elle est plus que compensée par une baisse du taux de participation et du nombre d’heures travaillées. L’impact cumulé est une baisse du nombre d’heures travaillées de l’ordre de 9% sur la période. C’est donc la croissance de la productivité qui explique la totalité de la croissance française à l’époque.

Des réallocations sectorielles mais surtout une amélioration générale de la productivité tirée par l’investissement

Au sortir de la guerre, la France est encore un pays où l’agriculture représente 29% des emplois. Le pourcentage équivalent aux Etats-Unis est de 13%. Or la productivité horaire du secteur agricole est très inférieure à celle du reste de l’économie : les transferts d’emplois vers les autres secteurs augmentent donc la productivité globale. Mais ce mouvement n’explique qu’une faible part de la croissance globale de la productivité. Tous les secteurs ont vu leur productivité s’accroître nettement : l’agriculture a vu sa productivité horaire multipliée par 5, le secteur manufacturier par 4,5, les services marchands par 3,2 et les services non marchands par 1,8.

Productivité horaire et stock de capital (rapport France / Etats-Unis)

En 1950, le PIB horaire (richesse créée par heure de travail) en France est égal à 37% de celui des Etats-Unis. Vingt-cinq ans plus tard, il est égal à 72% de celui des Etats-Unis. La productivité du travail dépend de deux facteurs : le « stock de capital physique » (machines, moyen de transports, ordinateurs, infrastructures…) mis à disposition des travailleurs, leur capital humain ainsi que la « productivité globale des facteurs » , notion un peu abstraite qui « mesure » l’efficacité avec laquelle est utilisé l’ensemble des facteurs de production.

Comme le montre le graphique ci-dessous, c’est principalement l’accroissement du « stock de capital » par tête qui explique l’augmentation de la productivité.

graphique_productivite

En effet, le niveau d’équipement de l’économie française au sortir de la guerre, notamment à cause de celle-ci, est très faible. Durant toute la période qui suit, l’économie française va être caractérisée par un niveau d’investissement très important (cinq points de plus que l’économie américaine) qui va permettre au pays de rattraper son retard de développement. Ce mouvement est similaire à ce que l’on peut observer dans les pays émergents asiatiques : le fort niveau de croissance s’accompagne d’un niveau élevé de l’investissement qui permet à ces pays de se mettre progressivement au niveau des économies les plus avancées.

Alors, « Play it again » les Trente Glorieuses ?

Bien plus que le fruit d’un compromis social, du crédit dirigé, du Plan Calcul ou d’autoroutes Pompidoliennes etc. les Trente Glorieuses sont donc l’illustration de la logique de rattrapage, dont le corollaire est hélas que la croissance a tendance à ralentir lorsqu’une économie se développe. Pour autant, les performances de la France se distinguent bien aujourd’hui de celles de notre voisin allemand : l’insuffisante profitabilité de nos entreprises a généré un niveau d’investissement insuffisant pour retrouver une contribution significative des gains de productivité. La réforme de l’amortissement annoncée par le gouvernement est bien inspirée de ce constat. Mais ce n’est qu’un élément de la recette pour retrouver une croissance plus forte et plus durable, et il en faut beaucoup d’autres….

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