Parole d’entrepreneur

avril 2021

Jean-Philippe Molinari
Président du Groupe Louis Tellier

ADN Entrepreneur.
Chez les Molinari, (heureux homonymes de l’économiste Gustave de Molinari qui vantait l’entreprise) l’entrepreneuriat est une affaire de famille. En 1882, l’arrière-grand-père de Jean-Philippe Molinari se lance dans l’importation de produits alimentaires italiens pour la communauté italienne en France. Une affaire reprise par son grand-père, puis par son père…

Sans même attendre de boucler ses études à l’ISG, le jeune Jean-Philippe perpétue déjà la tradition familiale. Sur les conseils de son père, il crée une première entreprise de négoce de produits aussi variés que le chocolat ou les K7 vidéo à l’attention des troupes françaises basées en Allemagne. Plusieurs autres petites entreprises suivront.

Jean-Philippe Molinari sort du négoce à l’occasion d’une nouvelle création : La Compagnie des Épices, 3e acteur français des épices derrière Ducros et Amora, qu’il lance en 1992 en s’associant au géant familial italien Cremonini (3,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires).

Fort de ce premier succès, le groupe Cremonini lui propose en 1998 de créer ensemble Cremonini Restauration, une filiale de logistique de restauration dans les trains de nuit entre la France et l’Italie. Basée Gare de Lyon avec une équipe de 40 personnes, la société réalise 10 ans plus tard un chiffre d’affaires de 160 millions d’euros avec 3 000 collaborateurs. Il opère au passage le rachat de la Société des Wagons-Lits au groupe Accor, et la création de la filiale de logistique Avirail avec Geodis. « Une épopée passionnante…dans un environnement social ferroviaire « un peu » particulier ».

Alors que Jean-Philippe Molinari est en recherche de nouveaux horizons, la société de private equity UI-investissement lui propose en 2018 de prendre la présidence du groupe industriel Louis Tellier, fabricant français d’ustensiles de cuisine professionnels. Le groupe rassemble 3 sociétés : Louis Tellier, inventeur du moulin à légumes, Gobel, dernière société française à fabriquer les moules de pâtisserie, et Bron Coucke, inventeur de la mandoline, pour un CA de plus de 20 millions d’euros dont 40 % à l’export.

1) Pourquoi être devenu entrepreneur ?

Mon héritage familial a évidemment pesé dans mes choix.
Je suis très attaché à l’esprit de liberté et d’indépendance qui caractérise l’entrepreneur. Même associé, parfois avec un grand groupe tel que Cremonini avec qui j’ai collaboré pendant près de 20 ans, j’ai toujours joui d’une très grande autonomie. J’ai toujours travaillé avec beaucoup de liberté.

C’est une composante fondamentale de mon activité. Et aujourd’hui, je jouis de la même liberté et de la même autonomie avec le fonds UI-investissement pour lequel je développe le groupe que je dirige.

Liberté et autonomie sont des conditions indispensables pour tout entrepreneur, finalement.

2) Le chef d’entreprise est-il le seul à entreprendre ?

Le chef d’entreprise n’est pas seul à entreprendre. J’ai géré toutes les tailles de sociétés, jusqu’à des ETI de taille importante. J’ai toujours eu dans mon Codir des collaborateurs qui étaient de vrais entrepreneurs, des salariés, mais avec un esprit d’entreprise.

Le chef d’entreprise est le chef d’orchestre, le coordinateur, mais l’esprit d’entreprise existe ailleurs dans l’entreprise. Forcément, le chef d’entreprise a besoin de s’appuyer sur des relais dotés d’autonomie. Quand vous avez une filiale à l’autre bout du monde, si vous ne pouvez pas vous appuyer sur un collaborateur qui soit un véritable entrepreneur, vous diminuez singulièrement vos chances de succès. Cremonini l’avait bien compris.

Le chef d’entreprise, lui, doit insuffler et partager une politique, une direction, une stratégie.

La vraie différence entre un chef d’entreprise et ses managers tient finalement au niveau de risque, financier et social, qu’on leur permet ou non d’assumer.

3) Pour vous, qu’est-ce que la création de valeur ?

En économie, on la mesure à l’aune de la réussite économique de l’entreprise. C’est assez facile, on mesure la progression de son EBITDA, de son cash, sur la base d’indicateurs assez basiques.

Mais pour arriver à ces résultats financiers qui sont des marqueurs forts, il faut avant tout mobiliser les équipes et d’une manière générale, les ressources humaines dont on dispose.
On ne peut pas créer de valeur si on ne partage pas l’envie d’entreprendre avec ses collaborateurs, si on ne les mobilise pas sur un projet commun.
Un homme seul dans une entreprise ne vaut pas grand-chose.
Pour créer de la valeur, il faut fédérer toutes les énergies. De l’opérateur machine à la responsable paye. Chacun à un rôle et une contribution.

Mon rôle en tant que chef d’entreprise est de créer un environnement agréable et plaisant pour permettre à chacun de s’épanouir en s’investissant dans son travail. Indirectement l’entreprise en récolte les fruits.

4) Quelles sont les trois ou quatre mesures à prendre pour améliorer
le développement des entreprises françaises ?

a/ Tout faire pour aider les entreprises à être plus agiles, à développer leur capacité d’adaptation à des marchés en constante mutation, au raccourcissement des cycles, à une compétition accrue, aux bouleversements des modèles.

Cela veut dire par exemple :

  • Augmenter la visibilité fiscale, car il n’y a rien de pire que des règles fiscales qui changent, alors que l’on doit faire des choix d’investissement longs.
  • Simplifier la mise en œuvre des aides à la recherche et développement et diminuer le risque fiscal inhérent à ces dispositifs, encore trop compliqués pour les sociétés les plus petites.
  • Aider les entreprises à se transformer, même dans des secteurs aussi traditionnels que le nôtre, il est toujours possible d’innover, de faire les choses ou de présenter les produits différemment, de prendre des risques.

b/ J’aimerais pouvoir dire : rendre le monde du travail plus flexible, plus fluide. Mais y sommes-nous prêts en France ? Je crois que ça n’est pas dans notre culture. Le modèle anglo-saxon dans lequel on met son bureau « in a box » et on change de job « overnight » ne fait pas partie de notre histoire…

c/ Mettre fin au paradoxe réglementaire entre l’exigence à laquelle sont soumis les produits français et le régime très particulier dont bénéficient les produits d’importation. Il faut bien sûr des règles qui protègent les consommateurs, l’environnement, ou les salariés. Mais il faut que les mêmes règles s’appliquent à tous de la même manière pour préserver une concurrence saine et loyale.

Share on FacebookTweet about this on TwitterShare on LinkedInShare on Google+