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septembre 2019

« L’économie : il y a peu de sujet sur lequel on se soit plus donné carrière pour déraisonner » (traité 1ère ed.)

Mario Draghi, pompier pyromane ?

Depuis quatre ans maintenant, la Banque Centrale Européenne (BCE) poursuit une politique monétaire qui semble adaptée à une situation de crise. Pourtant depuis 2011 la croissance s’est installée en zone euro, le chômage baisse et atteint son plus bas niveau depuis 2006, les salaires augmentent presque partout et le plein emploi se constate dans de nombreux pays : Allemagne, Autriche, Pays-Bas etc. A l’exception de la France et de l’Italie, les comptes publics sont en amélioration partout, ce qui est normal et nécessaire à ce niveau du cycle économique. Certes ce dernier semble en effet s’affaiblir, notamment dans sa composante manufacturière, sans qu’il soit possible de parler de récession pour autant. La croissance devrait être autour de 1,2% et l’inflation autour de 1,5%, soit une progression nominale de l’économie de la zone euro de 2,5 à 3%
Parce qu’ils dirigent les taux pratiqués par les banques, les taux d’intérêt à court terme décidés par la BCE influent sur l’ensemble de la courbe des taux (les différentes échéances). La BCE influe aussi bien sur les taux de crédit à la consommation que les taux de crédit d’équipement des entreprises ou les taux d’emprunts immobiliers des ménages ; mais surtout elle dirige les taux d’emprunts des États.

Formation des taux d’intérêt :
Les taux d’intérêt sont historiquement et mécaniquement très liés à la croissance et à l’inflation anticipée : celui qui prête veut retrouver le pouvoir d’achat de son capital à l’échéance ; s’il n’est pas sûr d’être remboursé il ajoutera à ces deux composantes une prime de risque de crédit qui dépendra de la solidité de son débiteur et de la confiance qu’il lui fait. Par construction, la référence de l’emprunteur le moins risqué en zone euro est l’État allemand, reflet d’une économie solide, en bonne santé et de finances publiques bien gérées : les comptes publics sont excédentaires et la dette en réduction.

Fixation des taux d’intérêt :
Dans ce contexte économique et de finances publiques, on pourrait imaginer que les taux d’intérêt tournent autour de 2% à court terme pour le meilleur emprunteur de la zone euro (croissance un peu plus faible en Allemagne) pour évoluer vers 3% sur le plus long terme (plus le terme est lointain, plus les risques d’inflation ou de crédit sont grands). Et pourtant la BCE mène une politique qui est celle d’une situation de crise. La BCE a le 13 septembre encore abaissé ses taux d’intérêt de 10 points de base, à -0,50%. Oui, des taux d’intérêt négatifs !

Sous prétexte de croissance faible et surtout d’inflation insuffisante par rapport à sa cible (2%), la BCE poursuit une politique qui envoie un signal très négatif aux agents économiques au regard de la formation normale des taux d’intérêt : il n’y a pas de croissance à attendre et il faut prévoir une baisse des prix. Dans l’inflation faible que nous connaissons, la BCE croit voir une déflation en devenir : la baisse générale des prix, des revenus et de la valeur des actifs. Nous sen sommes pourtant très loin. Les prix progressent, modestement, les salaires augmentent et les prix des actifs : actions, obligations et immobilier n’ont fait que progresser ces dernières années.

En envoyant un signal aussi négatif et anxiogène, la BCE au lieu de stimuler la croissance la ralentit sans doute :
Les flux d’épargne ne sont pas nécessairement élastiques au niveau des taux d’intérêt : ce n’est parce que les rémunérations à vue sont nulles que les épargnants vont réorienter leurs ressources vers la consommation et encore moins vers l’épargne longue. Le message négatif des taux négatifs conduit au contraire à augmenter les encaisses de précaution, même si elles ne sont pas rémunérées.
En maintenant des financements à très bon marché pour tous les agents qui s’endettent elle maintien des projets non créateurs de richesse (les entreprises « Zombies » qui devraient disparaître ou se restructurer). Elle permet le développement de projets non rentables qui peuvent, à l’inverse du but poursuivi se maintenir en mettant une pression artificielle sur les prix qui affaiblissent les acteurs établis. Elle stimule « la financiarisation », c’est à dire l’emprunt à très faible taux par des investisseurs apparemment solides qui se rémunèrent en finançant des acteurs moins solides par effet de levier. Enfin, elle fait baisser le prix de la drogue qu’est la dépense publique pour les pays impécunieux comme la France qui voit la charge des intérêts de sa dette baisser alors que celle-ci augmente ! De plus cette politique affaiblit le système bancaire de la zone euro, réduisant sa capacité de crédit et le pénalisant face au système bancaire américain.

Dans six semaines Mario Draghi, qui a été un bon pompier pendant la crise de 2011, quittera la Présidence de la BCE. Souhaitons que Christine Lagarde qui lui succèdera n’aura pas à éteindre les incendies que la poursuite d’une politique inadaptée et dangereuse aura provoqués.

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