Analyse économique

avril 2017

Anarchy in the UK

anarchy_in_uk Il est peu probable que Johnny ROTTEN ait trouvé son inspiration dans le Financial Times ou dans The Economist ; mais si la chanson des Sex Pistols n’a que peu de rapport avec l’économie, elle est sortie en novembre 1976, au beau milieu d’une période particulièrement mouvementée pour le Royaume-Uni puisque le gouvernement britannique était en train de négocier un plan d’aide avec le FMI pour sauver la Livre Sterling qui était en train de s’effondrer. Dans un ouvrage passionnant, When Britain Bust, écrit par l’historien économique Richard Roberts et édité par le forum des institutions monétaires et financières officielles (OMFIF), sont racontées avec force détails les négociations entre le gouvernement travailliste de l’époque et l’instance multilatérale, pour ce qui fut alors le plus gros prêt de l’histoire du FMI, prêt qui s’accompagna de conditions budgétaires et monétaires âprement négociées. Cet événement est souvent considéré comme le début de la remise en cause du Keynésianisme triomphant de l’après-guerre.

Comment un des principaux pays développés, de surcroît une des principales puissances financières, s’est-il retrouvé dans cette situation? Initialement créé pour gérer le système de Bretton Woods, le FMI devait prêter des devises aux Etats qui étaient en déficit courant le temps pour ceux-ci de restaurer leur équilibre extérieur. Cette restauration passait par une réduction de la dépense publique et/ou une augmentation des taux d’intérêt pour peser sur la demande interne. Le système de Bretton Woods a une réputation de stabilité mais rien n’est moins vrai: un pays comme Le Royaume-Uni a connu pas moins de treize crises de change entre 1947 et 1975. Les pays, comme le Royaume-Uni, qui menaient une politique de plein-emploi par stimulation de la demande, se retrouvaient régulièrement contraints de devoir faire machine arrière, entrainant une forte volatilité de l’activité économique. On a parlé de politiques de stop and go. L’économie britannique était particulièrement exposée de par son manque de compétitivité et de par le statut de monnaie de réserve de la Livre qui en faisait un actif très détenu en dehors du territoire, et donc très sensible aux changements d’opinion des investisseurs. Le manque de compétitivité s’expliquait par le choix qui avait été fait après-guerre d’une économie mixte avec un poids très important de l’Etat, notamment via des nationalisations, des syndicats puissants, un niveau élevé de taxation et une protection sociale développée. Mise en place par le gouvernement travailliste de Clement Attlee, ces politiques n’avaient été que partiellement dénoncées par les conservateurs. Cette organisation de l’économie entrainait des coûts du travail élevés et une tendance au déficit courant fragilisant la devise britannique. Après plusieurs dévaluations dans le cadre du système de Bretton Woods, lorsque celui-ci s’est effondré, la devise britannique a fortement baissé mais l’indexation des salaires sur l’inflation annihilait tout effort pour retrouver la compétitivité.

En réalité 1976 marquait la dixième année d’une crise quasi-continue, le choc pétrolier de 1973 aggravant les choses. La réponse du gouvernement travailliste élu début 1974 fut de porter la dépense publique de 39% à 46% du PIB en 1975. Cette augmentation de la dépense fut financée essentiellement par endettement. L’inflation bondît alors à 25%. Fin 1975, le gouvernement annonça alors des coupes dans les dépenses, mais à valoir sur les exercices budgétaires 1977-78 et 1978-79 ! L’objectif non-dit du gouvernement était alors d’attendre que les revenus du pétrole de la mer du Nord permettent d’équilibrer la situation… Pendant ce temps, les pressions baissières sur la Livre se faisaient quotidiennes. En mars 1976, la stratégie de réduction des dépenses publiques est rejetée à la chambre des communes du fait de l’abstention de l’aile gauche du Labour. En effet, à l’époque, une partie non négligeable des travaillistes souhaitait une stratégie économique alternative allant plus loin dans la collectivisation de l’économie et souhaitant une politique protectionniste et refusant toute baisse de dépense que l’aile raisonnable acceptait comme nécessaire. En juin, le chancelier de l’échiquier négocia un prêt des Etats-Unis et d’autres pays développés pour un montant de 5,3Mds USD pour stabiliser la devise. Ce prêt s’avéra être un moyen pour les américains de contraindre les britanniques à se tourner vers le FMI afin de les forcer à mettre de l’ordre dans leurs finances publiques.

À l’automne, les pressions baissières sur la livre reprirent et les investisseurs désertèrent les émissions de dettes domestique et en devises… Fin septembre, James Callaghan s’adressa à la convention du Labour avec ces mots : « Nous pensions qu’il était possible de sortir de récession par la dépense et d’augmenter l’emploi en baissant les impôts et en soutenant la dépense publique. Je vous dis en toute sincérité que cette option n’existe plus. »

Quelques jours plus tard, le gouvernement adressa sa demande au FMI. S’en suivirent des négociations dont la narration du détail dans le livre est particulièrement intéressante avec son lot de dénis de réalité, tentatives de pressions extérieures, faux départs des négociateurs. Malgré l’opposition de la gauche du parti travailliste, le gouvernement finit par faire valider l’accord trouvé avec le FMI, malgré les baisses de dépenses immédiates et la limitation de la création de crédit, mesures déflationnistes. Grâce à l’effet conjoint de ces mesures ajoutées à celles qui avaient été annoncées après le prêt de juin, grâce au regain de confiance des investisseurs rassurés par la présence des investisseurs et enfin grâce à la montée en puissance du pétrole de la mer du Nord, la situation budgétaire et extérieure du pays s’est très rapidement améliorée en 1977. La croissance plus faible causa une augmentation du chômage qui amena le gouvernement à adopter un budget de reflation. L’accélération de l’inflation poussa alors les syndicats à réclamer de fortes augmentations de salaires que le gouvernement ne pouvait accepter, ce qui entraîna le fameux «hiver du mécontentement» de 1978-1979 qui paralysa le pays et allait provoquer l’élection de Margaret Thatcher.

Prix à la consommation, variation sur un an

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Quelles leçons pour aujourd’hui ? Premièrement, une économie qui ne traite pas ses problèmes de compétitivité s’expose toujours à l’appauvrissement. Il y a une réalité économique à laquelle on ne peut pas déroger trop longtemps… Deuxièmement, la solution de ces problèmes ne peut pas passer par une politique de soutien de la demande. Vient un moment où la défiance des investisseurs vis à vis de la devise entraine un renchérissement du coût de financement et pénalise donc l’activité. Troisièmement, loin d’exercer un diktat, le développement des marchés financiers depuis la fin de Bretton Woods a en fait permis aux États de financer plus facilement leur double déficit. Enfin, il est intéressant de retrouver dès cette époque cette opposition entre une gauche réaliste et une gauche utopiste. Problèmes de compétitivité, déficit courant, deux gauches… voilà qui rappelle la France d’aujourd’hui. N’oublions pas que la crise de la zone euro a montré que la monnaie unique ne protégeait pas des crises de balance des paiements et ne dispensait pas d’ajustements d’autant plus douloureux qu’ils sont tardifs !

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