Parole d’entrepreneur

septembre 2017

Fabrice Boé
INES DE LA FRESSANGE

Fabrice Boé a créé la société IDLF en 2013 pour reprendre et piloter la marque Inès de la Fressange. La marque existait depuis 1991, mais était tombée en sommeil depuis le départ contraint de Madame Inès de la Fressange.

La nouvelle équipe soutenue par 70 % d’investisseurs particuliers et 30 % de fonds (Calao Finance à Paris et The Luxury Fund à Dubaï) a basé son projet sur les valeurs et l’image portées par Inès de la Fressange, revenue comme directrice artistique de la marque qui porte son nom : le chic parisien et l’élégance française. Cet archétype de style de vie est connu dans le monde entier et très apprécié, Inès de la Fressange l’incarne à merveille.

Depuis 2015, une panoplie de produits (prêt-à-porter, souliers, maroquinerie et autres accessoires) sont proposés d’abord dans le magasin flagship de la rue de Grenelle et sur le site Web de la marque puis, progressivement, au sein de boutiques de mode ou concept stores en France et à l’international. Le positionnement prix est l’entrée de luxe.

La présence de la marque est également étendue dans le monde entier sous forme de licences catégorielles (lunettes, bagages, papeterie, etc.) ou de collaborations ponctuelles, par exemple avec DS Automobiles ou Uniqlo.On estime que le chiffre d’affaires annuel déployé par la marque, pour tous les produits qui portent la signature (collaborations comprises), sera en 2017 en valeur prix de détail de l’ordre de 150 M$.

logo_ines_de_la_fressange

1) Pourquoi être devenu entrepreneur ?

Surtout à 50 ans !

J’ai eu le privilège de travailler pendant 25 ans pour 3 très grands et brillants groupes internationaux : L’Oréal, Hermès et Bertelsmann. J’en ai retiré beaucoup de satisfactions et un sentiment de force, porté par la puissance de ces groupes. Rien ne semblait impossible.En revanche, il me manquait beaucoup d’aspects de la vie d’une entreprise, qu’on ne peut connaître réellement que dans des petites structures. À la fois parce qu’un grand groupe a tendance à morceler les départements et à ne donner à chacun qu’une partie des aspects des affaires, ce qui peut être frustrant. Et parce qu’un grand groupe vous impose nécessairement des contraintes, des règles et reproduit en général un modèle (à succès, d’ailleurs, pour ceux que j’ai connus).
J’ajouterais que la vie au sein d’un grand groupe implique beaucoup de temps et d’attention dédiés au réseau interne, à ce que l’on appelle la « politique ».

Alors, arrivé à ce cap des 50 ans, j’avais une immense envie de faire et de construire quelque chose à ma manière, fort de tout ce que j’avais appris auparavant. Volonté d’indépendance, de trouver de l’espace, de la liberté et, surtout, formidable appétit pour bâtir quelque chose ont été mes moteurs. Il est d’ailleurs grisant de repenser au 1er jour, au moment où tout démarre, on a le sentiment que tout devient possible, que le seul le ciel est la limite…

2) Le chef d’entreprise est-il le seul à entreprendre ?

Il le croit… au début.

En réalité, ses forces ne suffisent pas, très vite il en atteint les limites naturelles.
Il doit, en réalité avant même le démarrage concret, fédérer et porter un projet.
L’entrepreneur doit donc attirer et entrainer des hommes et des compétences en interne, mais il doit aussi faire vivre un réseau autour de l’entreprise qui complètera et ajoutera tout ce qu’une entreprise naissante ne peut avoir : compétences pointues, relais de communication, financements, etc. La force de conviction devient alors essentielle pour, avec des moyens par nature limités, pouvoir agréger autour de lui la somme de contributions qui vont alimenter le mouvement et donner naissance à une entité qui, à son tour, va générer ses propres forces.

À lui d’identifier ce qui doit être absolument fait « à la maison » et ce qui peut être trouvé à l’extérieur. Un entrepreneur doit toucher à tous les domaines, doit s’impliquer dans chacun, mais il n’a aucune chance de réussir si une dynamique ne se crée pas autour de lui et s’il ne parvient pas à trouver les relais extérieurs et, notamment, le carburant qu’est l’argent, indispensable à l’amorçage et à la démultiplication de l’action.

Et pourtant, le sentiment de solitude est très fort chez l’entrepreneur, même lorsqu’il est bien entouré (en particulier par son conseil d’administration ou ses investisseurs).
Parce qu’il doit prendre quantité de décisions seul et rapidement, parfois stratégiques et plus souvent très, très opérationnelles. Tous les sujets lui remontent directement et font appel à des compétences très variées, à la fin (c’est-à-dire très vite) il doit trancher seul, même s’il n’est pas spécialiste du sujet. Et parce que sur certains sujets, qu’il doit nécessairement garder pour lui, il ne peut dans la plupart de ces cas se confier à personne ni échanger avec personne. Ce sentiment de solitude est très fort et presque inhérent à la fonction.

3) Pour vous, qu’est-ce que la création de valeur ?

Dans une petite entreprise, la création de valeur se mesure très vite et en termes très concrets. On voit, si tout va bien, grandir le chiffre d’affaires, se réduire les pertes puis apparaître les bénéfices. Alors, sur la base de ces chiffres et, surtout, d’une dynamique se créer une valeur d’entreprise, très matérielle puisqu’on peut la chiffrer. Même si parfois on rêve à des trajectoires que l’on n’atteindra jamais, on peut en tout cas évaluer la valeur marchande de ce que l’on a créé, c’est-à-dire ce que des investisseurs sont prêts à débourser pour rejoindre ou reprendre l’aventure (très souvent en pariant sur la valeur future de ce qu’ils croient déceler dans ce que vous avez créé).

Il existe un autre aspect, beaucoup moins chiffrable, c’est la valeur de la communauté que l’on a créée. Autour de rien au départ, on rassemble au sein de l’entreprise des femmes et des hommes qui partagent des valeurs, un projet et qui, tout simplement, passent ensemble l’essentiel de leur temps de vie. La communauté s’étend naturellement aux partenaires de l’entreprise et à ses clients.

Dans un monde culturellement marqué par les critères de l’économie numérique, la principale création de valeur de l’entreprise provient de cette communauté, ces utilisateurs/clients/consommateurs (plus ou moins) fidèles. Ce qu’ils apportent aujourd’hui se lit dans les chiffres, surtout ils sont porteurs de valeur future, les chiffres de demain, à la fois par ce qu’ils achèteront demain des produits de l’entreprise, mais également par la monétisation complète que retirera l’entreprise du lien qu’elle a créé avec eux.

Est-ce, en partie une illusion ?…

4) Quelles sont les trois ou quatre mesures à prendre pour améliorer le développement des entreprises françaises ?

Je dirais simplement qu’il faut d’abord réduire la complexité de la vie quotidienne des entreprises, à commencer par tout ce qui a un impact sur l’emploi.

Produit de strates accumulées, de projets imaginés en leurs temps et qu’il a fallu financer, de régulations s’appliquant à tous pour répondre à des exceptions, des obligations se sont ajoutées, superposées et parfois contredites au point que l’on peut dire que chaque entrepreneur est à coup sûr en infraction avec des dispositions qu’il méconnait. Ce n’est pas normal. Pour essayer de s’y conformer, il doit se plonger dans un maquis effrayant de contraintes multiples, jusque dans les actes les plus basiques de son activité.

Trois exemples :
il n’est pas normal de devoir payer des spécialistes pour simplement produire les fiches de paie du personnel, chose qui devrait être élémentaire ;

nous avons accueilli une jeune femme en contrat d’apprentissage, les formalités furent tellement kafkaïennes que nous ne le referons plus ;

l’interdiction des emplois de moins de 24h hebdomadaires, « inventée » l’an passé.

Point commun de ces 3 exemples ?
Ils luttent contre l’emploi. Sans être un adepte de la dérégulation à outrance, on peut étendre à 100 autres exemples ce constat, à commencer par les effets de seuils et la batterie d’obligations qui découlent de leur franchissement et dissuadent de le faire.
La simplification du Code du travail va clairement dans le bon sens, il faut s’y atteler.

Réduire les coûts ira d’ailleurs de pair, complexité et coûts vont en effet très bien ensemble. J’ai ainsi découvert la taxe sur l’habillement, que doivent payer les entreprises qui produisent des vêtements (et par la même occasion la structure qui gère les fonds prélevés, dont le conseil d’administration comprend 19 personnes). Au passage, j’ai noté l’existence de la taxe sur les huiles végétales, sur l’édition des ouvrages de librairie, sur les appareils de reproduction ou d’impression, etc.
Sans commentaire.

Objectivement, la plus mauvaise décision de gestion que puisse prendre un créateur d’entreprise aujourd’hui est l’embauche d’un salarié, cela me choque profondément. Il faudrait au contraire tout faire pour que ce soit la plus évidente et la meilleure décision.
La complexité n’est pas une fatalité, l’alléger rendra la vie des entrepreneurs tellement meilleure et créera rapidement de l’emploi.

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