Parole d’entrepreneur

janvier 2018

Frédéric JUMENTIER, Président du groupe FINDIS
(Déjà publié en octobre 2014)

jumentierAvec un chiffre d’affaires de 300 millions d’euros, le groupe FINDIS est le n° 1 français de la distribution de produits d’électroménager, image & son à destination des magasins de proximité indépendants.
C’est en 2007, avec l’équipe de direction et des partenaires financiers, que Frédéric Jumentier a racheté le groupe qui a crû tous les ans depuis.

Après avoir travaillé dans des grands groupes de distribution, pourquoi être devenu entrepreneur ?

J’ai travaillé 15 ans dans de grands groupes, avec des responsabilités de plus en plus importantes. J’y ai beaucoup appris, beaucoup vécu, j’y ai connu de grandes réussites et autant de satisfactions. Et puis un jour j’ai investi tout mon patrimoine dans une PME en divisant mon salaire par 3, mon prestige social par 10, la taille de mes équipes par 100…

Evidemment, ce n’était pas un coup de tête mais le résultat d’un long processus de maturation. En faisant ce choix, j’allais chercher 3 choses : la capacité directe, personnelle, à développer une entreprise ; une certaine forme de liberté ; enfin l’envie d’entraîner un groupe de personnes autour de moi dans ce même esprit entrepreneurial. Avec 7 ans de recul, je peux dire que j’ai effectivement trouvé ce que je cherchais.

L’impact personnel, la capacité à agir, l’entrepreneur que je suis en fait son carburant au quotidien. Dans un grand groupe, le leader, aussi talentueux soit-il, a une influence somme toute limitée sur le destin de son entreprise, il faut bien le reconnaître…(même si peu d’entre eux l’admettront).

L’entrepreneur, en première ligne même quand il agit en équipe, voit sans ambiguïté possible le résultat de ses actions. Pouvoir agir ainsi directement sur le cours de l’entreprise est parfois cruel – quand on échoue, ça se voit, on sait d’où ça vient… -, mais aussi très excitant dans la réussite.

Je suis allé chercher également une certaine forme de liberté d’action, d’indépendance : cette liberté – et la responsabilité qui va avec – s’avère réelle sur les décisions importantes, structurantes pour l’entreprise ; en revanche la liberté de manœuvre au quotidien est toute relative, car les contraintes vitales d’une PME sont encore plus prégnantes que dans un groupe…

Enfin, le dernier Graal de mon expérience d’entrepreneur, c’est la liberté de construire vraiment une équipe qui partage les mêmes envies, les mêmes valeurs, le même projet. Jusqu’à une taille d’équipe d’environ 500 à 1000 personnes il est possible d’avoir une relation personnelle directe avec chacun, ça change tout, beaucoup d’obstacles disparaissent. Il y a beaucoup plus d’énergie, et l’énergie est cohérente. Quand les individus partagent le même projet, l’énergie est juste formidable. Au-delà de cette taille, ou avec des groupes moins cohérents, il faut des relais, des systèmes, la relation commence à se désincarner, l’énergie commence à se dissiper en frottements internes…

Le chef d’entreprise est-il le seul à entreprendre ?

Sauf exceptions, le chef d’entreprise qui entreprend seul s’arrête vite. Rien de plus fort qu’une équipe qui entreprend avec lui, dans le même sens.

Pour vous, qu’est-ce que la création de valeur ?

La définition financière de la création de valeur, c’est offrir aux investisseurs un rendement supérieur à la moyenne, vu le profil de risque. Je pense qu’on peut étendre cette définition à tous les domaines : on crée de la valeur quand on fait mieux que l’ordinaire. On crée de la valeur quand on offre à ses équipes des jobs plus intéressants, à ses clients un service distinctif et innovant, à ses fournisseurs une meilleure valorisation de leurs produits,…

Dans le monde ultra-concurrentiel de la distribution de produits électroniques et électroménagers qui est le mien, où les prix de vente baissent en permanence, où les marges s’érodent chaque année, le modèle « low-cost » peut constituer une voie : être toujours plus efficace, plus « lean », chasser le superflu, n’offrir aux clients que l’essentiel de la fonction ou du produit pour proposer le prix le plus bas. Une télé écran plat basique, posée dans son carton sur le sol d’un entrepôt, sans vendeur, sans conseil, sans service de livraison, avec un SAV spartiate. Dans un autre domaine, un billet d’avion non échangeable, vendu uniquement sur Internet, au départ d’un aéroport éloigné, sans sièges préassignés, où le surpoids de la brosse à dents est taxé.

Ce modèle peut être bénéfique s’il force un marché endormi (oligopolistique par exemple ?) à se réinventer, et à inciter les acteurs à retrouver de vraies sources de création de valeur pour se différentier du low-cost, en lieu et place de leurs inefficacités internes antérieures.

Mais le modèle est mortifère s’il devient la seule voie. Il devient destructeur de valeur du côté des clients, car c’est une approche de repli, d’anti-innovation, qui omet d’inventer des services nouveaux pour lesquels les clients seraient prêts à payer, et les installe dans une pure recherche du prix. C’est une spirale destructrice côté entreprises, qui laisse le dernier compétiteur exsangue…

Chez Findis nous avons choisi le modèle de création de valeur à travers la crise de consommation qui affecte nos marchés depuis 6 ans. La progression continue de nos résultats et nos gains de part de marché, montrent que c’est une voie possible.

Nos clients sont des magasins de proximité indépendants, à qui nous livrons une très large gamme de produits électroniques et électroménagers de grandes marques. A côté de notre métier « historique » de grossiste, qui vend au meilleur prix, avec la meilleure efficacité, avec une logistique impeccable, nous proposons à nos clients les outils marketing de leur développement : leur site de e-commerce clé en main, des outils de base de donnée clients, une communication digitale personnalisée, leur référencement gratuit et payant sur Internet, des outils de campagne SMS, des partenariats de visibilité…

En développant ces métiers d’agence média très ciblée – qui ne sont pas notre métier de base mais qu’aucune agence ne peut faire de façon aussi pertinente et customisée que nous – , nous enrichissons notre offre tout en aidant nos clients à basculer vers le modèle de distribution « multicanal » qui garantit leur pérennité.
Nous aidons les magasins de proximité, champions en service / conseil / SAV, à préserver leur valeur ajoutée face à la vague low-cost du e-commerce « pure player ».

Quelles sont les trois mesures que vous prendriez pour améliorer le développement des entreprises françaises ?

Je propose 3 mesures emblématiques, selon un degré croissant de difficulté de mise en œuvre chez nous.

• Mettre l’entreprise dans l’école
Les citoyens français, tout autant que notre classe politique, sont dans une grande ignorance des mécanismes et du rôle de l’entreprise dans la société.
Moins du tiers de nos députés ont déjà travaillé, une fois dans leur vie, en entreprise : voilà qui éclaire, si nécessaire, l’absurdité de nombreuses lois, largement destructrices de valeur.

La très grande majorité de nos concitoyens vit encore, faute de pédagogie sur le sujet, dans une représentation marxiste de l’économie : riches contre pauvres, salariés contre patrons.

Cette ignorance, malheureusement, fait le lit de toutes les démagogies et de tous les poujadismes, qui y trouvent un électorat facile.
« Augmenter le SMIC crée du chômage » : combien de nos concitoyens le comprennent, combien d’hommes politiques le disent ? Cette vérité devrait n’être ni de gauche, ni de droite…

Nous avons racheté il y a 3 ans un de nos concurrents au bord de la faillite. Nous l’avons racheté avant qu’il ne dépose le bilan, nous chargeant de toutes ses dettes fiscales, sociales, fournisseur, que nous avons honorées. Nous avons également repris tout l’effectif, nous mettant nous-mêmes en situation à risque. Findis était le sauveur.

J’ai ensuite réorganisé l’entreprise rachetée pour la rendre viable, en procédant notamment à des licenciements nécessaires pour sauver par ailleurs des dizaines d’emploi. Je suis alors devenu le patron sans foi ni loi, aux yeux de certains salariés, des syndicats, de la presse régionale et de certains élus locaux.
Comment changer cela ?

Par la pédagogie.
Mettons l’entreprise et l’économie dans l’école, dès le collège et jusqu’au lycée. Ce qui va faire vivre nos enfants toute leur vie d’adulte mérite bien un module de quelques heures par semaine ! Expliquons à nos enfants les mécanismes élémentaires de création de valeur, pour qu’ils comprennent qu’avant de partager un gâteau, il faut le créer. Expliquons-leur le rôle de l’actionnaire, du mandataire social, de leurs responsabilités, de leurs risques. Expliquons-leur que c’est le travail qui crée la richesse.

Il me semble que ceci n’est pas difficile à mettre en place. Former nos élus risque, paradoxalement, de prendre davantage de temps.

• Flexibiliser le travail avec un nouveau contrat
Le CDI actuel est bâti sur une logique d’emploi à vie : l’entreprise ne peut se séparer, de son propre chef, de son salarié, que si celui-ci a commis une faute très sérieuse, ou si l’entreprise est en perdition. Philosophiquement, cela veut dire qu’il faut être en situation de crise grave pour ajuster son niveau d’emploi : crise individuelle avec un salarié, ou crise collective. Ce modèle asymétrique, ultra-protecteur pour le salarié et rigide pour l’entreprise, pouvait être adapté à la situation de croissance continue et régulière des 30 glorieuses : l’entreprise, pour peu qu’elle soit gérée en bon père de famille, gagne de l’argent, a le temps de s’adapter aux évolutions de la conjoncture et peut donc offrir au salarié ce schéma protecteur.

Qu’on le déplore ou non, ce modèle devient totalement inadapté dans un environnement économique fluctuant, en décroissance et soumis à des chocs brutaux (vitesse des innovations de rupture, chocs exogènes dans un monde ouvert). L’entreprise connaît de larges fluctuations de marché, des métiers apparaissent ou disparaissent, de concurrents venus d’ailleurs réinventent le métier autrement, le e-commerce bouleverse en 10 ans les règles du jeu…

Il faut penser un nouveau contrat de travail plus flexible, qui permette au niveau de l’emploi dans l’entreprise d’accompagner le niveau d’activité, à la hausse comme à la baisse.

On pourrait imaginer un contrat à durée indéterminée, résiliable comme aujourd’hui par l’employé à son initiative, mais résiliable également par l’entreprise à son initiative, selon des conditions contractuelles prévues dès l’embauche. Les indemnités de rupture, plus élevées a priori que les indemnités légales, seraient négociées de gré à gré entre l’entreprise et le salarié à la signature du contrat, comme c’est le cas déjà pour le salaire, les responsabilités, les avantages annexes…

Ce contrat pourrait coexister avec le CDI actuel. Gageons que la flexibilité que ce contrat apporte inciterait de nombreuses entreprises à proposer des rémunérations plus élevées qu’avec un CDI classique.

• Dessiner un budget « base zéro » des interventions de l’Etat qui serve de cible à une trajectoire de baisse de 20% des dépenses publiques. Réinjecter les 10 points de PIB gagnés en baisse des prélèvements.
Tout chef d’entreprise responsable et compétent est capable, quand la crise est là, de réduire ses charges. Il peut le faire un peu si la crise est mineure, beaucoup si sa viabilité est vraiment en danger. Pour y parvenir de façon forte, il sait qu’il doit repenser son organisation, éliminer des tâches inutiles ou redondantes, automatiser, simplifier, focaliser, accompagner des changements de métier…
Il doit parfois repartir d’une page blanche pour imaginer des solutions en rupture : le budget « base zéro ».

S’adapter, ou se réinventer, est un vrai travail qui demande de la volonté de la part du dirigeant, des outils d’analyse, une méthodologie, et souvent la participation active des salariés qui savent mieux que quiconque comment faire pour chasser les milliers de petits, ou grands, dysfonctionnements.
Faisons la même chose en ce qui concerne les services de l’Etat et des collectivités territoriales.

Avec ce que nous savons tous du fonctionnement public, nul doute qu’un gain de 20% d’efficacité est trouvable sans dégrader la qualité de service, pour peu qu’on s’y prenne correctement.

Faisons de cette revue des missions de service public l’objet d’un vrai débat.
Une fois la cible fixée, aidons les ministères et collectivités à trouver les solutions comme le ferait un chef d’entreprise : il ne s’agit pas juste de leur imposer un budget raboté, il faut leur donner la boite à outils méthodologique qui permet de trouver les voies d’amélioration, les soutenir par des chefs de projet interne formés à une démarche de recherche d’économie, afficher une volonté politique, mener des revues d’avancement,…

Ces 3 mesures ont déjà été appliquées, ailleurs, avec succès.
La première mesure proposée est assez facile à mettre en œuvre chez nous, la seconde pas impossible pour peu qu’on ose son expérimentation et qu’on la laisse se développer à côté du CDI classique. La troisième est vitale mais devrons-nous attendre une remontée des taux, et la crise de la dette souveraine française qui s’ensuivra, pour la mettre en œuvre ?

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