Parole d’entrepreneur

mai 2019

Frédéric VENTRE – Fondateur de Yooji

yoojiAncien banquier, père de quatre enfants, marié à une femme médecin, il a eu l’idée en 2012 de créer Yooji, la première marque de surgelés bio pour bébés. Un vrai défi sur un marché mondial estimé à 10 Mds $ dont 500 M€ en France, dominé par des grands groupes dont Nestlé et Danone. « Une entreprise, c’est comme un bébé : on l’aide à grandir et elle nous donne l’impression de laisser une trace », résume Frédéric Ventre, fondateur de Yooji. C’est en 2009 que ce diplômé d’HEC, alors consultant dans la finance, a l’idée de créer des petits pots surgelés. Pendant trois ans, Frédéric Ventre peaufine son projet et rencontre ses associés : Philippe Briffault, son camarade d’HEC, spécialiste du marketing, et Marc Vignolle, ingénieur et ancien cadre en R & D chez Marie. Reste à « passer du PowerPoint à la réalité » : créée en septembre 2012, Yooji livre ses trois premiers magasins en mai 2013. D’abord constituée d’une douzaine de recettes de purées de légumes bio, la gamme s’élargit au poisson certifié MSC, à la viande bio d’origine France, puis enfin aux fruits bio. Elle compte aujourd’hui 25 références, bientôt 30. La PME continue à se développer suite à l’entrée dans son capital de Danone fin 2017. « Bénéficier de l’appui technique de Danone, c’est génial pour une petite boîte comme nous », commente Frédéric Ventre, qui vient de changer l’identité visuelle de Yooji et, surtout, de lancer un site marchand en B to C. Yooji n’en finit pas de grandir…

1) Pourquoi être devenu entrepreneur ?

Au fond de moi j’avais cette envie. J’ai longtemps accompagné d’autres entrepreneurs, en tant que conseil. Cela m’a conforté dans l’idée qu’un jour je serai entrepreneur. Et à l’aube de mes 40 ans j’ai trouvé cette idée qui m’a tellement séduit que je ne pouvais pas envisager de ne pas la suivre. Une idée en rapport avec ce que j’aime : cuisiner, manger, les enfants -j’ai 4 enfants- et à l’époque mon petit dernier avait 15 mois et ça faisait près de 10 ans que je cuisinais pour eux au cuit vapeur toutes les semaines. Je me suis dit que ce n’était pas possible de ne pas essayer. J’ai entrepris car je ne pouvais pas faire autrement !

2) Le chef d’entreprise est-il le seul à entreprendre ?

Non. Une vraie fierté c’est d’avoir transformé un certain nombre de mes collaborateurs les plus proches en entrepreneurs eux-mêmes. Notamment, en les associant au capital. L’association au capital est responsabilisante et motivante. Et le fait de diriger dans une startup oblige à développer d’autres réflexes très différents de ceux d’un cadre sup dans un entreprise établie. Dans une startup on vit dans un contexte de précarité, d’urgence, de nécessité, de responsabilité, de polyvalence, on ne peut pas s’appuyer sur une organisation de 500 ou de 5000 personnes…

3) Pour vous, qu’est-ce que la création de valeur ?

Après plusieurs années à développer une entreprise qui a la RSE au cœur de son ADN, ma conception de la création de valeur a évolué. Avant, lorsque je conseillais d’autres entrepreneurs, la valeur était avant tout financière. Aujourd’hui je pense que la création de valeurS s’écrie avec un S. La valeur c’est aussi se positionner en tant qu’entreprise, en tant qu’entrepreneur, dans une logique RSE. Avec Yooji on crée des produits pour aider les parents, pour bien nourrir les bébés, pour lutter contre l’obésité, et tout ça à mon sens rentre dans la création de valeurs. Aujourd’hui nos partenaires financiers comprennent qu’avec ces objectifs on peut être moins rentable car on apporte quelque chose d’autre à la planète qui ne se mesure pas que par de la rentabilité financière. Ce qui nous a permis de résister aussi longtemps face à un marché compliqué, très compétitif, c’est que l’on n’a jamais fait de concession au détriment de la recherche et développement. On fait des produits qui sont bons, à tous points de vue, mais aussi très sûrs. Tout ça a forcément un coût. Or on s’est aussi positionné sur des prix permettant de rendre nos produits accessibles au plus grand nombre. Au final, je suis convaincu que ces valeurs créeront encore plus de valeur financière car elles sont en phase avec les attentes des consommateurs d’aujourd’hui.

4) Quelles sont les trois ou quatre mesures à prendre pour améliorer
le développement des entreprises françaises ?

Instaurer une vraie justice fiscale – En finir avec le fait que les acteurs économiques ne sont pas tous égaux face à la fiscalité. Certains acteurs ne s’acquittent pas correctement de l’impôt alors qu’ils profitent de toute l’infrastructure française pour leurs salariés, comme la santé ou l’éducation. Il faudrait trouver un système qui crée moins de possibilités d’évasion, d’évaporation de la substance fiscale, dans la mesure où ces acteurs sont quand même ancrés dans un pays qui leur fournit main d’œuvre et infrastructures. Le pourcentage d’imposition réelle des grands groupes est choquant. Il y a une prime pour ceux qui savent se mettre à l’abri de l’impôt et il n’y aurait rien à dire si ça n’était pas les mêmes qui bénéficient en même temps de mesures favorables dans le domaine social, ou l’éducation. Si on vit hors sol ou en eaux internationales, il n’y plus de problème. Il s’agirait donc de simplifier et réformer la fiscalité des entreprises pour que le taux officiel d’IS à 33% s’applique plus pleinement, et pas à 8 ou 9% comme on le voit aujourd’hui pour certains groupes cotés bénéficiant de schémas d’optimisation fiscale et de transfert vers des pays à fiscalité plus douce.

Réorienter nos moyens en termes de formation – Qu’il s’agisse de la formation initiale, ou de la formation professionnelle continue, en adaptant l’offre d’emploi aux besoins réels des entreprises.
Aujourd’hui on manque de main d’œuvre qualifiée dans certains secteurs, et il y en a d’autres qui sont déclinant et que l’on continue à mettre sous perfusion parce qu’on n’a pas pris le virage de la formation suffisamment tôt. Les étudiants choisissent encore trop en fonction de leurs envies et pas en fonction de leurs débouchés professionnels. Les filières professionnelles ont une très mauvaise image alors qu’en Allemagne elles sont reines et qu’elles permettent très rapidement d’accéder aux emplois qualifiés et rémunérateurs. Tout le système éducatif est à revoir, en termes de parcours initial et continu. Le ministre Blanquer s’y attelle, peut-être qu’il y parviendra, mais en tout cas il faut initier ce mouvement.

Promouvoir la recherche – Dans les années 60 il y a eu le Plan Calcul, avec des résultats certes pas tous bons entre Bull et le Minitel, mais peut-être parce qu’on n’est pas allé jusqu’au bout de la logique. On a raté les bons virages stratégiques. Il faut aller dans ce sens mais plus fort pour faire émerger des champions sur les secteurs de demain. La France et l’Europe ont pris du retard par rapport à la Chine ou aux États-Unis. La France a des fleurons mais sont-ils ceux qu’il faut avoir à l’horizon 2030 ou 2050 ? On est leader dans le luxe mais où en est-on dans les secteurs de l’espace, de l’environnement, de l’intelligence artificielle, de la sécurité informatique ?

Il faut introduire plus d’incitations fiscales et de formation, monter des projets à l’échelle pan-européenne, mettre encore plus de moyens sur ces secteurs et se montrer plus sélectif sur les aides versées. On gâche aujourd’hui des ressources en formant des gens sur des choses inutiles, on aide des entreprises qui n’en ont pas besoin, par exemple au travers du CICE, ou de certaines formations professionnelles. Il faut réorienter et réallouer nos ressources.

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