Parole d’entrepreneur

juillet 2020

Hélène Saint Loubert – Co-fondatrice de Grenade & Sparks

Fraîchement diplômée de l’Institut Supérieur de Gestion, Hélène a l’opportunité de faire un premier stage chez Saphir, une petite agence de publicité. C’est l’occasion d’une première expérience avec des responsabilités et de l’autonomie dès le départ.
C’est le coup de foudre pour un métier ouvert à tous les sujets et à tous les secteurs d’activité, en prise directe avec les enjeux stratégiques des entreprises, à une époque où les publicitaires étaient encore très proches des présidents.

Vient ensuite une deuxième expérience dans l’agence Équateur qui passe de 10 personnes au moment où Hélène la rejoint à 100 lorsqu’elle la quitte 5 ans plus tard. À sa tête un patron charismatique qui dès le départ accorde sa confiance à Hélène et à un jeune créatif avec lequel, un peu plus tard, elle monte l’agence Grenade. Avec l’expérience Équateur, aux côtés d’un patron « inspirant » dont le départ provoque le grand saut d’Hélène dans l’entrepreneuriat, elle prend conscience de l’importance de toujours créer plus de valeur pour ses clients, de leur proposer des conseils et des prestations de qualité leur permettant de faire la différence.

C’est ce sens qu’Hélène poursuit avec la création de Grenade. « Plusieurs clients ont fait confiance à notre tandem dès le départ ce qui nous a permis de faire une belle première année et un beau démarrage. On pouvait à l’époque démarrer une entreprise avec de l’envie, des valeurs et de la qualité. Pas besoin d’idée géniale ou disruptive. »

Hélène cède le contrôle de Grenade en janvier 2019 à Netco devenu depuis Becoming. Elle est aujourd’hui directrice associée du groupe en charge des projets stratégiques et, à ce titre, se consacre actuellement à l’accélération d’une nouvelle société, Youth, en mode intrapreneuriat. Once an entrepreneur, always an entrepreneur !

Hélène est également vice-présidente de Croissance Plus et a participé trois fois à la délégation française au G20 des entrepreneurs.

1) Pourquoi être devenue entrepreneur ?

J’ai toujours été motivée par l’envie de bien faire mon métier et de m’en donner les moyens. Je supportais mal les contraintes que m’imposait le groupe qui avait absorbé Équateur, le départ de son leader et avec lui la soudaine absence de sens de notre action. J’avais besoin d’espace, de liberté de réflexion et de choix. Pour cela je devais conquérir mon indépendance. La création de notre agence s’est imposée à nous comme une évidence. Nous étions jeunes, libres. Nous n’avions pas peur de nous lancer. Nous étions prêts.

2) Le chef d’entreprise est-il le seul à entreprendre ?

Vaste question ! Entreprendre comme un chef d’entreprise c’est prendre une part de risque. Quand nous avons créé Grenade nous avons investi toutes nos économies dans notre projet. Nous étions prêts à ne pas nous payer. Nous ne savions pas si nous allions réussir ou non. Et c’est ce qui caractérise le chef d’entreprise : prendre des risques personnels. C’est quand même très différent de la « douceur du salaire qui tombe tous les mois » quand on bosse dans une grosse boîte ; cette « douceur » qui nous enferme dans une petite torpeur.

Ce qui caractérise aussi l’entrepreneur c’est d’avoir une vision, des projets, des qualités de leadership, la capacité de fédérer une équipe. Monter un projet en allant au bout des choses, un projet qui fonctionne et qui gagne de l’argent, ça n’est pas si simple.

On peut retrouver des comportements d’entrepreneur chez certains collaborateurs : la fougue,
la dynamique, le leadership, une vision, la conduite des projets, mais il y a un moment où forcément le salarié se confronte à une stratégie, une politique, un management, sur lesquels il doit s’aligner… ou partir. Ce que peu acceptent de faire.

La limite à l’entrepreneuriat au sein de l’entreprise, c’est l’alignement.
Les entrepreneurs sont radicaux dans leurs choix. Ils acceptent les risques qui les accompagnent.

Et en même temps quel bonheur d’être entrepreneur !

3) Pour vous, qu’est-ce que la création de valeur ?

Chez Croissance Plus je suis en charge de l’Impact. L’Impact c’est beaucoup de choses. Le social, le sociétal, l’environnemental, l’inclusif. Je crois beaucoup à la valeur sociale de l’entreprise. Chez Grenade nous sommes montés jusqu’à 100 salariés. Sur la durée nous avons certainement accompagné 250 ou 300 familles. Nous avons fait grandir beaucoup de gens. Des jeunes diplômés un peu gauches qui sont devenus des professionnels aguerris.

De manière générale les entrepreneurs sont responsables. 80% d’entre eux d’après une étude récente Opinion Way déclarent que l’entreprise est capable d’adopter des comportements vertueux, inclusifs, et apporter de la valeur.

Et puis il y a la valeur professionnelle de l’entreprise. Celle qui consiste à viser l’excellence. L’excellence opérationnelle qu’on acquiert au fil du temps mais qui doit être remise en cause en permanence. Lorsque nous avons lancé Grenade, Internet n’existait pas. À la fin l’agence était référencée comme agence digitale ! Cette transformation a été le résultat de beaucoup de réflexions, de travail, de rachats d’entreprises, d’intégration de nouvelles compétences, de création d’équipes.

La valeur ajoutée d’une entreprise n’est jamais acquise. Elle est le résultat de la combinaison de deux dimensions : l’exploitation et l’exploration. L’exploitation, ou comment s’améliorer au quotidien. L’exploration, ou quel seront nos prochains leviers de croissance, comment allons-nous nous réinventer, comment va-t-on se repositionner ? Et surtout toujours se poser des questions, se challenger, particulièrement dans les métiers comme le nôtre, très sensibles à l’air du temps, et qui nous obligent à rester à l’avant-garde.

Pendant longtemps, au début de Grenade, la création de valeur financière ne m’intéressait pas beaucoup. Du moment que l’on gagnait de l’argent et que l’on faisait du résultat chaque année. Puis j’ai changé sur ce sujet, peut-être grâce à Croissance Plus. J’avais jusque-là tout fait en autofinancement, comme un artisan, et je me suis retrouvée à faire face à des startups, des fonds d’investissement, des banquiers, des financiers.

J’ai réalisé que ce qui m’intéressait à cette étape de mon entreprise c’était la croissance, la vraie croissance. Et c’est ça qui m’a intéressé, bien plus que l’argent en lui-même.
J’ai souvent privilégié l’investissement aux dépens du bénéfice. Toujours guidée par cette quête d’excellence, le souhait de toujours mieux faire notre métier, j’ai investi dans de nouvelles compétences, des commerciaux, un planning stratégique solide, des profils expérimentés, notamment au travers d’opérations de croissance externe. Et en 10 ans on a connu une belle croissance.

Bien que la rentabilité de nos opérations ait toujours fait partie de nos objectifs, elle n’a jamais été la priorité. Plus qu’une fin en soi, la performance financière a été le moyen de réaliser notre projet, le moyen de créer de la valeur pour nos clients.

4) Quelles sont les trois ou quatre mesures à prendre pour améliorer
le développement des entreprises françaises ?

A – Alléger les charges fiscales et sociales et les contraintes réglementaires et légales.
Par exemple, supprimer ces impôts de production aberrants qui pèsent sur notre compétitivité : 3,2% sur notre CA avant même d’avoir créé la moindre valeur ajoutée. Pour nous cela représente entre 150 et 200 000 euros qui correspondent à de la productivité et des résultats en moins.

B – Accélérer la transition digitale et la transition écologique, sociale et sociétale.
Car finalement c’est ce qui fera que les salariés auront envie de bosser, seront fidélisés, que les gens seront fiers d’acheter des produits. J’aimerais que ceux qui voient ces sujets comme des contraintes ou des sujets secondaires, les voient comme des sujets centraux pour la compétitivité et la valorisation de leur entreprise demain. Les entreprises qui n’intègrent pas l’impact aujourd’hui auront des problèmes demain. Et c’est bien l’urgence actuelle du court terme qui doit être l’occasion pour toutes les sociétés de se poser les bonnes questions. C’est une formidable opportunité pour réfléchir à ce qu’on veut être et faire demain, et à ce qu’on peut changer dès à présent.

C – Réfléchir grand avec de l’ambition plutôt que trop petit.
Les entreprises doivent dépasser la simple ambition nationale. Voir grand. Et aller chercher les financements pour s’en donner les moyens. Il faut aussi simplifier l’accès des entreprises à l’international et lever les obstacles qui aujourd’hui les découragent de voir européen plutôt que simplement français. Mettre en place un système de passeport européen, avec un siège social unique, une banque unique, un statut juridique unique. Se donner les moyens de se battre contre les Chinois ou les Américains, en simplifiant le parcours des entreprises européennes et en leur permettant d’aller en Allemagne comme elles vont en Alsace.

D – Sortir le chef d’entreprise de sa solitude.
Il faut savoir prendre les décisions d’acheter, d’investir, d’embaucher, et le chef d’entreprise est souvent seul pour les prendre. Il doit savoir s’entourer. Les entreprises qui se développent ont un coup d’avance et vont vite. Pour cela elles doivent aussi savoir s’entourer des bons talents et là aussi savoir voir suffisamment grand. Les entrepreneurs doivent utiliser les ressources disponibles autour d’eux, consulter des conseils comme je l’ai fait pour me permettre de passer des paliers, d’autres professionnels, s’entourer de gens bienveillants, qui ont réussi dans leur domaine et qui souhaitent partager leur expérience.

Share on FacebookTweet about this on TwitterShare on LinkedInShare on Google+