Au fil des lectures : reçu 10/10

février 2021

« Une vérité appartient, non pas au premier qui la dit, mais au premier qui la prouve. » (traité 1ère ed.)

« Le juste Pouvoir »
Yves Cannac J-C Lattès 1983

Alors que nos ministres, ayant fermé musées, cinémas et salles de spectacles se relaient pour nous vanter – à nous, enfants ignorants – les mérites de la lecture, nous promenons notre regard sur nos bibliothèques à la recherche de quelques vérités dans cette période qui semble en manquer tant. Et l’exercice actuel du Pouvoir semblant sonner faux comment ne pas rouvrir « Le juste Pouvoir » écrit par un grand commis de l’État ayant servi sous Giscard (1974-1981). Il ne s’agit pas de justice dans cet essai, mais d’appréciation sur ce qui est juste, davantage au sens scientifique : un raisonnement juste s’opposant à un raisonnement erroné. Après la victoire socialiste de 1981, l’auteur s’interroge sur ce que doit être le juste pouvoir en démocratie, c’est-à-dire l’équilibre entre ses prérogatives et l’autonomie des individus permettant d’atteindre les objectifs collectifs de paix et de prospérité.

Cet essai que nous avons relu reste d’une parfaite actualité, mais n’est malheureusement disponible que pour les amateurs de livres d’occasion. Nous proposons à nos lecteurs un résumé partiel dont l’auteur pardonnera l’incomplétude et les infidélités.

Cannac commence par nous rappeler la fable de La Fontaine « le jardinier et son seigneur » montrant que l’essence du politique est d’être puissant et glorieux, qu’importent ses réalisations, ce qui traduit son naturel hégémonique.

Il est intéressant de noter qu’un des premiers soucis de l’auteur pour une démocratie civile est d’assurer une information libre. L’information publique ne peut prétendre être indépendante du pouvoir politique (elle y est soumise économiquement et, malgré toutes les gesticulations, par les nominations) et l’information privée est elle-même soumise au phénomène de connivence (une particularité sociologique française), aux conflits d’intérêts comme à la dépendance d’actionnaires privés qui disposent d’un pouvoir économique trop lié à la sphère publique (armement, télécoms, travaux publics, etc.)

Le service public doit être au service du public. Un contre-exemple est donné par l’organisation de l’éducation nationale davantage conçue selon l’intérêt des enseignants plutôt que de celui des élèves ou des parents : une concentration d’heures de cours sur un nombre limité de journées, qui sature la capacité d’apprentissage des enfants, mais optimise la semaine et les congés des enseignants.

La conception autoritaire, condescendante du service public est riche d’illustrations nombreuses. Par ailleurs, l’action publique répond à la fois à la précipitation et à la lenteur. Cette précipitation se traduit par l’improvisation : « il faut bien faire quelque chose », en réaction à n’importe quelle information ou pression immédiate, et la lenteur par l’inaction. Le monopole public se justifie par l’intérêt général qui est en fait impossible à définir précisément sauf par ceux qui l’exercent ; définition éminemment subjective, mais qui donne le droit de faire payer.

Le rôle de l’État est pourtant d’assurer l’accès aux services publics plutôt que de produire le service lui-même. La concurrence n’empêche pas la réglementation, le contrôle, voire la subvention du service public. Elle permet l’autonomie de ceux qui l’exercent effectivement.

Le problème des entreprises publiques est qu’elles ajoutent des considérations politiques aux considérations professionnelles. Elles génèrent une confusion abusive entre le pouvoir et l’intérêt collectif. Le pouvoir ne peut pas servir et asservir, être inspecté et inspecteur, arbitre et joueur, défendre l’intérêt général et se soumettre aux intérêts corporatistes qui l’occupent.

S’agissant des entreprises privées, le salariat n’est pas seulement le risque du chômage. C’est la possibilité de trouver un emploi sans avoir besoin de le créer. C’est la faculté d’en changer, la garantie d’une rémunération fixe, une clause de limite de responsabilité : une combinaison liberté-sécurité qui est plus favorable que celle de l’entrepreneur. Et que dire de celle du salarié dont l’emploi est garanti à vie ?

Par ailleurs, l’État se veut protecteur, mais il doit faire face aux revendications qui ne sont pas toujours cohérentes avec les actions de ceux qui les portent. Les opinions et les comportements des citoyens ne sont pas ajustés.

Il faut souligner le manque de considération de l’État hégémonique pour ses propres finances, qui en dit long sur le respect qu’il a pour la propriété privée : il endette ses sujets et leurs descendants sans leur consentement éclairé.

Le pouvoir s’approprie pourtant plus de 50 % des revenus privés et on ne constate pas pour autant d’extinction de la pauvreté ni de progrès dans l’éducation. C’est simplement que la redistribution se fait en grande partie dans les mêmes tranches de revenus. Il décide ainsi à notre place de ce qui est bon pour nous et nous le fait payer cher. L’État dépense notre propre argent à notre place. Son principe n’est pas la justice c’est la tutelle. Il agit doublement : par l’asservissement il prend et par la subvention il crée la dépendance. Il serait donc indispensable pour le contrarier de monétiser les services publics, c’est-à-dire d’arrêter la gratuité et de ne la maintenir que pour les indigents.

Il importe donc de rétablir une proportion entre les devoirs -faibles- de l’État et le Pouvoir. Le citoyen demandait à être garanti contre les pouvoirs et se trouve face à un pouvoir omniprésent et omnipotent sans autres perspectives que de le remplacer au bout de quelques années par un autre pouvoir omniprésent et omnipotent, mais tout aussi incapable.

La compétitivité des entreprises qui financent en grande partie l’État Providence et interventionniste dépend de sa productivité. Pourtant, les excès de moyens paralysent. L’inflation législative et réglementaire, la complexité de l’organisation, la coexistence de la pénurie et du gaspillage pèsent in fine sur le secteur productif. Néanmoins, le dépensier public, le planificateur, est naturellement – forcément – pénétré du caractère salvateur de sa dépense.
« L’État n’est jamais riche et le peuple toujours gueux » écrivait Rousseau.

Ce pouvoir hégémonique dévie naturellement. Faute de pouvoir exercer effectivement, efficacement, l’autorité qu’il s’est attribuée, l’État en concède l’exercice à des partenaires opportunistes qui vont gonfler eux-mêmes à sa place : représentation paritaire, agence ou autorité « indépendante » qui ne rendent de comptes à personne, même pas à l’État. Et qui se voient dotée de moyens réglementaires, de contrôle et de jugement qui entrent en compétition avec l’État hégémonique sans même en avoir la légitimité démocratique.

En dépit des pistes que Cannac propose pour contrarier l’hégémonie, celle-ci semble avoir gagné la partie : après 40 ans, les maux diagnostiqués ont empiré. L’étatisation de la société, la politisation de l’État, la professionnalisation de la politique ont conduit à une forme de provincialisation, d’affaiblissement et d’affaissement de la France que toutes sortes de classements confirment.

Il importe de retrouver un pouvoir véritablement démocratique : celui qui se donne la responsabilité constituante, mais non le droit d’agir.

Bref, de protéger le jardinier de son « saigneur ».

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