Analyse économique

octobre 2020

L’inflation, effaceur magique de la dette ?

Alors que la dette publique augmente fortement partout dans le monde du fait de l’épidémie de Covid-19, on entend de plus en plus la petite musique de l’inflation comme solution au problème de la dette. Mais le remède est-il aussi indolore qu’on veut bien le croire ? Comment fonctionne-t-il ?

Pas d’effacement, mais un allégement relatif
La première chose à comprendre est que l’inflation ne supprime pas la dette. Elle en relativise le poids. En effet, lorsqu’un gouvernement va émettre de la dette, il va s’engager à payer des intérêts fixés à l’avance pendant un certain temps et à rembourser le montant emprunté au bout d’une période donnée. Sa capacité à honorer cet engagement va dépendre de son solde budgétaire, et donc de ses dépenses et recettes (voir quelques nuances de finances publiques, décade d’avril 2018). Le seul moyen de réduire le montant absolu de ces engagements est en réalité de faire défaut ou de restructurer la dette du pays.

Le poids de la dette se mesure toujours par rapport à la taille de l’économie. 100 Mds de dette ne représentant pas la même chose pour Malte ou pour l’Allemagne. 100 Mds de dettes rapportés à un PIB de 100 Mds, c’est lourd. Rapportés à 200 Mds, c’est deux fois moins lourd ! Ce n’est pas tant le fardeau de la dette qui est allégé par l’inflation que le corps qui porte cette dette qui devient plus gros.

La mécanique de la dette
Rappelons que le ratio d’endettement public d’un pays va évoluer selon l’équation suivante (promis, il n’y en aura pas d’autre) :

Commençons par un petit mot sur chacune de ces variables
Le déficit primaire, c’est le solde budgétaire avant paiement des intérêts. Il dépend donc du niveau des ressources budgétaires et des dépenses. Un excédent primaire permet directement de mettre la trajectoire d’endettement sur une courbe descendante. Ici l’inflation peut jouer un rôle lorsqu’elle surprend à la hausse. En effet, généralement, les seuils d’imposition sont fixés lors de la définition du budget à la fin de l’année précédente. Ils sont généralement ajustés d’une année sur l’autre en fonction des prévisions d’inflation. Si l’inflation observée est plus élevée que l’hypothèse du budget, cela va augmenter les recettes fiscales par des effets de seuil. Inversement, une partie de la dépense publique, notamment les prestations sociales sont revalorisées en début de période sur la base de l’inflation passée. Si l’inflation accélère subitement, cela peut minorer d’autant le poids de ces dépenses et améliorer le déficit primaire. Certains gouvernements ont pu jouer de la sous-indexation des prestations ou des seuils pour améliorer mécaniquement le solde budgétaire de manière presque invisible.

Le deuxième terme de l’équation met en relation le stock de dette et l’évolution de la taille de l’économie. Comme nous l’avons dit, le taux sur le stock de dette est fixé à l’avance. Il n’évolue que lentement au gré du renouvellement de la dette par le Trésor. Par exemple, la France renouvelle chaque année environ 15% de sa dette, et le taux d’intérêt moyen va donc bouger dans ces proportions. Le taux effectif sur la dette française est aujourd’hui de 1,2%. Aux taux actuels, la France emprunte à -0,70% à deux ans, à -0,11% à quinze ans et à 0,41% à trente ans. Elle continue donc à réduire le taux effectif de sa dette. Si ces taux augmentaient de 2% pendant une année complète, le taux effectif augmenterait de 0,3%.

C’est l’écart entre le taux effectif et la croissance nominale qui joue le rôle principal. Cette croissance nominale est la somme de la croissance réelle et de l’inflation. Lorsqu’elle est supérieure au taux effectif, elle permet de réduire le ratio d’endettement. L’effet est d’autant plus fort que le ratio initial d’endettement est élevé. En revanche, si le pays perd la confiance des marchés et que le coût de financement bondit au-delà de la croissance nominale, un effet boule de neige va se mettre en place et la dette risque de devenir insoutenable.

Reste que les taux sont censés compenser aussi pour le risque d’inflation. Il est donc probable que dans un régime d’inflation plus élevée, ceux-ci remontent progressivement, mais du fait de l’inertie des taux effectif sur le stock de dette, l’équation d’évolution de la dette ne se dégradera qu’encore plus progressivement.

Quelques ordres de grandeur
La trajectoire de la dette publique va dépendre de l’évolution des finances publiques et de plusieurs données macroéconomiques. Sans rentrer dans les détails des multiples simulations possibles, on peut estimer pour le cas de la France que dans l’hypothèse d’un maintien des taux d’intérêt sur des bas niveaux, un point d’inflation en plus en moyenne sur les dix prochaines années fera baisser le ratio d’endettement de 8 à 9 points au terme de cette période.
Mais face à une inflation en nette hausse, il est peu probable que les taux d’intérêt se maintiennent sur les bas niveaux actuels. Si l’on rajoute l’hypothèse que les taux d’intérêt s’ajustent progressivement au niveau de l’inflation, tout en restant inférieurs à celle-ci, l’impact sur les ratios d’endettement n’est plus que de 6 à 7 points.

Conclusion
Il faudrait donc une inflation très forte pour ramener l’endettement très en dessous des 100%, et surtout, il faudrait maintenir des taux d’intérêt sur des niveaux extrêmement bas. Le soutien des banques centrales, par le maintien de taux courts bas et par les achats de titres pour maintenir les taux longs sous contrôle, sera donc très important pour les pays ayant des ratios d’endettement élevés. Cela signifie donc que les créanciers des États vont continuer à percevoir des intérêts très faibles sur les obligations qu’ils détiennent. En dernière analyse, la réduction du poids relatif de la dette publique en pourcentage du PIB revient à une réduction des droits des créanciers publics sur le PIB courant par rapport aux autres agents économiques.
Reste que l’inflation ne se substituera pas à une amélioration des comptes publics pour ramener durablement les ratios sur une trajectoire descendante. On peut espérer que la reprise post-Covid 19 permettra celle-ci, mais il faudra sans doute prendre d’autres mesures, tout en ayant à l’esprit d’éviter les erreurs de 2010-2011, à savoir une rigueur budgétaire trop précoce tuant la reprise dans l’œuf. Les États ont l’avantage d’avoir le temps long pour eux, mais il faut que la direction soit claire.

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