Au fil des lectures : reçu 10/10

mai 2015

« Une vérité appartient, non pas au premier qui la dit, mais au premier qui la prouve. » (traité 1ère ed.)

Bertrand de Jouvenel :
« l’Ethique de la Redistribution »
Les Belles Lettres (2014).

Qu’il est sinueux le parcours intellectuel de Bertrand de Jouvenel (1903-1987) ! Inspirant le « Chéri » de Colette, dont il fut l’amant alors qu’elle était la seconde femme de son père, Bertrand de Jouvenel est une personnalité dont il faut lire l’essai publié en anglais en 1949, suite à deux conférences données à l’Université de Cambridge et qui vient d’être traduit. Radical, puis dirigiste dans les années 30 et collaborant à Gringoire, proche de Vichy dans un premier temps, puis fuyant la Gestapo en Suisse, Jouvenel a participé à la création avec Raymond Aron, de la société de pensée libérale du Mont-Pèlerin dans l’après-guerre. Il la quitte ensuite pour s’intéresser à l’écologie et à la prospective en créant la revue Futuribles et en participant au Club de Rome. Il appellera à voter socialiste en 1974 et 1981. Un parcours finalement très « mitterrandien ».

Mais l’intérêt des chemins sinueux est qu’ils ouvrent parfois sur des points de vue exceptionnels. Dans cette Europe d’après-guerre, sous pression communiste, Jouvenel voit se construire le socialisme anglais qui pendant une génération va entrainer le Royaume-Uni dans un déclin dont il ne sortira qu’avec l’arrivée de Margaret Thatcher en 1979. Mais sa réflexion porte bien au-delà de son observation :

Guidée par l’émotion face à la misère, la recherche de l’égalisation des revenus n’est pas un projet social suffisant. Le revenu est destiné à permettre l’accomplissement de l’individu et pas seulement à satisfaire le consommateur. La redistribution des revenus est en fait une redistribution du pouvoir des individus vers l’Etat dont le rôle de curateur général va croissant. Pour autant, le concept de bonheur collectif est une duperie et la misère ne disparaît pas… En effet, il n’existe aucun lien logique entre l’amélioration des conditions de vie des plus défavorisés et l’égalisation des revenus. Les méthodes mises en œuvre pour la redistribution par l’entremise de l’Etat et la préférence donnée aux collectivités plutôt qu’aux individus ne conduisent pas à l’idéal égalitaire mais à la capture du pouvoir par une classe qui est capable de s’affranchir des règles qu’elle impose au reste de la société et qui -par clientélisme- appelle à une progression infinie de la dépense publique.

Les idées fraîches n’ont pas besoin d’être toutes neuves. Rafraîchissez votre pensée pendant l’été et lisez ces 120 pages de Bertrand de Jouvenel !

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