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octobre 2017

« L’économie : il y a peu de sujet sur lequel on se soit plus donné carrière pour déraisonner » (traité 1ère ed.)

Thomas Piketty et la suppression de l’ISF : « une faute historique »

Dans « le Monde » du 8/9 octobre le professeur Piketty livre une chronique qui ne témoigne guère d’ambition pédagogique.

La faute étant selon Littré un manquement contre une règle, nous verrons qu’il est difficile d’établir à quelle règle économique répond l’ISF. Qualifier cette hypothétique « faute » d’historique est certainement faire preuve d’une perception erronée de l’histoire et du sens des proportions : moins de 5 milliards d’euros payés par quelques 340 000 contribuables, cet impôt ne représente que 1% des dépenses de l’État et ne saurait donc être un instrument majeur de la politique économique ou sociale et certainement pas comme le prétend l’auteur un moyen efficace de réduction des inégalités. En revanche il s’est avéré un facteur majeur d’affaiblissement de la prospérité collective.

Le professeur en faisant de cette faute une faute « morale » témoignant d’une
« incompréhension des défis inégalitaires posés par la mondialisation » prend la posture d’autorité dans le débat en se targuant de morale et en oubliant l’économie : rappelons que cet impôt sur le capital n’existe que dans deux ou trois pays… Prétendre que l’ISF n’a pas provoqué une hémorragie fiscale, c’est ne jamais avoir rencontré de Français exilés fiscaux qui sont si nombreux en Belgique, en Suisse, aux USA, en Grande-Bretagne, au Portugal en Israël, etc. Il est vrai que dans cet exil, l’ISF n’est pas seul en cause : l’imposition du capital dans notre pays est multiple et excessive et a joué contre la compétitivité de l’économie française.

Car l’ISF remporte la palme de l’absurdité économique : taxer le capital pour sa simple raison d’être est aussi absurde que de taxer la capacité de travail, sans qu’aucun travail ne soit fourni. Taxer à « un taux de 1.5 ou 2% voire supérieur » le capital comme le suggère l’économiste, alors que les taux d’intérêt sont proches de 0% et que les revenus du capital jusqu’à 2018 pouvaient se voir taxer jusqu’à 64% est une fantaisie qui a coûté des millions d’emplois industriels à notre pays. En effet, la fiscalité renchérit le coût du capital et pèse donc sur la rentabilité des investissements : ceux-ci sont logiquement réduits de ce fait ou réalisés ailleurs, puisque le capital bien davantage que le travail est mobile. Les investissements étant le moteur de la productivité, celle de notre pays s’est dégradée, et donc les termes de l’échange aussi : pertes d’emplois massives et déficits commerciaux en sont les plus visibles conséquences.

Mais la chronique de Piketty qui est moralisatrice et non pas économique, témoigne aussi d’une confusion de l’esprit préoccupante : « gageons que les étudiants sauront se rappeler de cette suppression quand le gouvernement tentera d’ajouter la sélection à l’austérité dans les prochains mois ». Il n’est pas nouveau que des professeurs de l’enseignement supérieur cherchent à manipuler les opinions de leurs étudiants et les éloignent de la raison, mais en l’occurrence il s’agit plutôt d’une insulte à leur intelligence. En quoi la suppression de l’ISF a-t-elle à voir avec les lourds problèmes de l’enseignement supérieur qui traîne tous ses maux depuis des décennies ? L’économiste se garde de faire la moindre proposition sur ce sujet.

Piketty, loin du pédagogue économique qu’il devrait être est bien l’illustration vivante de l’idéologie, telle que la définissait Hannah Arendt : la logique d’une seule idée. Cette idée est que la richesse est un scandale ; alors que le scandale est celui du maintien voire du développement de la pauvreté. Jamais celle-ci ne s’est réduite par la suppression de celle-là, au contraire : « Le plus grand nombre des pauvres ne recueille aucun profit de la dépouille des riches ; bien au contraire, les capitaux fuient ou se cachent, nul travail n’est demandé et le pauvre meurt de faim. C’est un très grand malheur d’être pauvre, mais ce malheur est plus grand encore lorsqu’on n’est entouré que de pauvres comme soi. » écrivait J-B Say dans son Catéchisme d’économie politique.

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