Au fil des lectures : reçu 10/10

février 2023

« Une vérité appartient, non pas au premier qui la dit, mais au premier qui la prouve. » (traité 1ère ed.)

Ayn Rand – La Grève – roman
Édition les Belles Lettres

Ayn Rand (1905-1982) est une immigrée juive de St Petersbourg arrivée aux États-Unis peu après la révolution bolchévique. Elle a vu le socialisme à l’œuvre dans son pays natal et le capitalisme américain flamboyant. Et elle est tombée en détestation des soviets et amoureuse de la liberté et de la prospérité qu’elle observait. Essayiste, philosophe, scénariste et romancière Ayn Rand a écrit « La Grève » en 1957 qui fut un énorme succès et qui est devenu un classique de la littérature américaine.

Pourquoi ce roman fleuve de plus de 1 300 pages ne fut-il vraiment traduit et diffusé en français qu’en 2011 ? Parce qu’il dérange vraiment. Épousant le genre de la dystopie à sa publication, le roman aujourd’hui prend l’allure d’une d’anticipation presque réaliste. Dans un monde quasiment gagné par des républiques populaires oppressantes et misérables, les États-Unis résistent mais finissent par céder eux aussi à un socialisme qui les emporte vers une dépression économique fatale. Des entrepreneurs épris de liberté vont lutter contre un étatisme absolu qui saisit les moyens de production et finit par les détruire par son inefficience. Au fur et à mesure de ses échecs le clan étatique réduit encore les libertés. Cette lutte contre l’absolutisme prend la forme d’une grève des élites économiques qui disparaissent progressivement les unes et les autres après avoir neutralisé leur outil de production pour qu’il échappe à la mainmise corrompue des dirigeants politiques. On est bien plongé dans une économie moderne qui ressemble à celle des années 50 avec une dose de modernisme, mais l’industrie, l’énergie et les transports restent dominants. Au centre, il y a Dagny Taggart qui se bat pour développer la compagnie ferroviaire crée par son père mais que son frère James, lâche et incompétent, abandonne à la nationalisation. John Galt, la passion ultime de Dagny, ingénieur de génie refuse de livrer son invention (la production d’énergie pratiquement infinie et à faible coût) à la prédation étatique qui prive le métallurgiste Hank Rearden, l’homme aimé et admiré, du bénéfice d’un alliage supérieur qu’il a mis au point. Francisco d’Anconia, l’amour de jeunesse, met volontairement en faillite sa compagnie minière qui n’est plus exploitable une fois nationalisée. Et Dagny sur la vingtaine d’année que dure le roman plein de personnages, d’aventures, de rebondissements et de mystères lutte avec son énergie, son exigence et sa liberté pour survivre et reconstruire. Car ces hommes et d’autres, épris de liberté comme elle, se retirent en fait dans une vallée invisible et inaccessible pour préparer la reconstruction du monde. La Grève, c’est l’opposition de la volonté individuelle à la prétention d’un système dirigé par un clan profiteur dont l’arme principale est un code moral, décidant pour chacun de ce que doit être sa vie. « Il y a indépendance quand l’homme accepte le fait d’être le seul maître de son jugement et que rien ne peut le dégager de cette responsabilité. Que personne ne peut vivre ni penser à sa place. Qu’il n’y a pire autodestruction que de se soumettre à l’influence d’une autre pensée, d’accepter qu’une autre autorité s’impose à votre cerveau et de considérer ses assertions comme des faits, ses affirmations comme des vérités, ses décisions comme des truchements entre votre conscience et votre existence ». Ayn Rand plaide pour la raison, la connaissance et le travail pour s’opposer à l’asservissement, comme elle fait de l’autonomie un devoir pour l’individu. Car la dépendance des uns crée la servitude pour les autres par le rôle que joue l’État dont l’intervention matérielle et morale est sans fin. La philosophie d’Ayn Rand est fondée sur « le concept de l’homme en tant qu’être héroïque, ayant son propre bonheur pour éthique de vie, son accomplissement productif pour occupation la plus noble et la raison pour unique absolu. »

Et nous ne résistons pas à partager cela :
« Tout dictateur est un mystique et tout mystique est un dictateur en puissance (…) Vous qui êtes assez naïfs pour croire que les forces qui se déchainent aujourd’hui dans votre monde sont nées de leur désir de s’approprier des biens matériels, sachez que si les mystiques partagent volontiers ce gâteau, c’est pour mieux cacher leur véritable mobile. Le désir de s’enrichir fait partie de la vie et ils le revendiquent pour singer les vivants et se faire croire à eux-mêmes qu’ils veulent vouloir vivre. Mais leur immonde faiblesse pour le luxe dans lequel leurs rapines leur permettent de vivre n’a rien à voir avec la joie : c’est une fuite ! Ils ne veulent pas posséder votre fortune, ils veulent que vous la perdiez ; ils ne veulent pas réussir, ils veulent que vous échouiez ; ils ne veulent pas vivre, ils veulent votre mort. Ils ne désirent rien, ils n’aiment pas la vie, et dans une éternelle fuite en avant, chacun d’eux fait tout pour ne pas voir qu’il est lui-même l’objet de sa haine ». Que pensez-vous de Poutine ?

Pour 19 euros, Ayn Rand vous offre un voyage de plusieurs jours, voire plusieurs semaines, dans un monde redoutable qui nous ressemble de plus en plus mais qui, sacrifiant la prospérité, ne parvient finalement pas à éliminer ni la raison, ni l’amour, ni la volonté.

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