Analyse économique

mars 2019

La mondialisation, une histoire très ancienne

Coupable idéal de tous les maux de nos économies occidentales, la mondialisation a mauvaise presse. Aux yeux de certains, elle résume tout ce qui ne va pas depuis une trentaine d’années. Notamment la perte de substance industrielle générant des pertes d’emplois, indéniable dans un pays comme la France mais absente de pays comme l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse ou les pays scandinaves. Mais cette forte internationalisation de l’activité économique est-elle purement contemporaine ? Loin s’en faut. On connaît généralement bien la mondialisation de la fin du XIXe siècle, celle que Keynes décrivait en parlant d’un habitant de Londres, pouvant commander de son lit par téléphone tous les biens de la planète et attendre leur rapide livraison, et pouvant investir dans des actifs d’un peu partout dans le monde.

En réalité, la mondialisation est un processus bien plus ancien. L’absence de mesures rend la quantification des échanges compliquée mais les développements récents de l’histoire économique montrent bien l’existence d’un système économique globalisé à l’échelle des continents africain, asiatique et européen bien avant le XIXe siècle. Dans Le Chapeau de Vermeer, l’historien Timothy Brook part de détails de tableaux de Vermeer pour évoquer l’ampleur des échanges économiques et culturels au XVIIe siècle. C’est notamment le cas de la porcelaine, produit d’exportation chinoise par excellence dans la mesure où les Européens ne maîtriseront ses processus de production qu’à partir du siècle suivant. Si les pièces les plus anciennes arborent des motifs traditionnels chinois, ceux-ci ont rapidement été adaptés au goût européen, voire réalisés sur commande. Quelle différence avec un iPhone, « designed in California, assembled in China » ? Nous ne pouvons qu’inciter nos lecteurs à se rendre au musée de la Compagnie des Indes à Port-Louis dans le Morbihan pour le constater de visu. Comme on produit d’abord pour soi-même, la mondialisation n’est que le reflet du développement d’un certain nombre de grands pays, à commencer par la Chine. Ce qui perturbe, c’est l’avantage concurrentiel que ceux-ci peuvent développer grâce à leur taille, et à la légèreté de leurs réglementations sociales et environnementales notamment. Pourtant certaines grandes nations industrielles, comme le Japon et l’Allemagne ont maintenu leurs industries malgré cette concurrence nouvelle, qui n’est une fatalité que si l’on ne s’y adapte pas.

Si l’on remonte encore dans le temps, on se rend compte que les échanges commerciaux sur longue distance sont très anciens et d’une ampleur qui a pu avoir des conséquences macroéconomiques sensibles. Dans sa synthèse sur l’histoire économique globale, Philippe Norel montre que si les Européens sont allés chercher des métaux précieux au loin c’est qu’ils en manquaient au XVe siècle, du fait de siècles de déficit commercial récurrent. La fortune de Gênes et de Venise s’est faite sur l’importation par l’Europe des produits asiatiques (« encens et parfums d’Arabie, textiles et épices de l’Asie du Sud, épices de l’Asie du Sud-Est, ou encore soie, laque et porcelaines de Chine »). Le problème de l’Europe étant à l’époque l’absence d’exportations pour compenser ces importations. Une étude citée par Norel estime que 40% du métal argent arrivé d’Amérique entre 1550 et 1800 en Europe est reparti en Chine. L’écart de valorisation entre l’Argent et l’Or entre les deux zones, les Chinois préférant le premier, permettait par ailleurs des arbitrages fructueux !

Ces exemples portent sur les relations commerciales entre l’Europe et le reste du monde mais l’accélération de la croissance en Occident à partir de la fin du XVIIIe siècle a eu tendance à occulter le fait que la majorité des échanges commerciaux avaient lieu auparavant entre les autres régions du monde, essentiellement en Asie. Philippe Norel mentionne les témoignages ébahis des premiers Européens à découvrir les comptoirs de l’Asie du Sud-Est. Rompre avec un point de vue centré sur l’Europe montre bien que le commerce international est une réalité bien plus ancienne que les dernières décennies et donc quelque chose de plus profond que la simple conséquence de l’invention du container ! La question n’est donc pas de revenir ou non sur la mondialisation, car si l’on sort de ce processus, le monde continuera sans doute de se mondialiser sans nous, pour une plus grande prospérité. Reste que l’histoire a aussi montré que l’interdépendance commerciale ne constitue pas une garantie de paix, mais cela est une autre histoire…

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