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septembre 2022

« L’économie : il y a peu de sujet sur lequel on se soit plus donné carrière pour déraisonner » (traité 1ère ed.)

Les perles de l’été

Nouvelle Assemblée Nationale, nouveau gouvernement, échauffement saisonnier, nouvelles voix et veilles noix, l’été a compté de nombreuses prises de positions, décisions, jugements et anathèmes bien éloignés de toute raison et parfois de toute réalité économique. De toutes ces perles on pourrait faire un grand collier. Nous en avons retenu trois qui méritent un commentaire de la Décade, en sachant que c’est une forme d’injustice faite à toutes les autres non moins méritantes…

1) La suppression de la redevance audiovisuelle :

On est bien tenté de partager l’opinion exprimée par le Président de la République en 2017 : « l’audiovisuel public est une honte pour nos concitoyens ». Médiocrité des programmes, coûts exorbitants, biais politiques marqués, mélanges des genres et entre-soi justifient une remise en ordre du « service public » de l’audiovisuel qui n’a de public que l’argent qu’il dépense et dont le service est très peu différent des chaines privées. Pour autant, la suppression de la redevance annoncée en mars et votée le 17 août dans la loi de finances rectificative pour 2022 est-elle de nature à corriger ces aberrations ?

Sûrement pas telle qu’elle a été présentée, comme une mesure en faveur du pouvoir d’achat qui rendrait 138 euros aux 23 millions de foyers taxés, soit 3,2 milliards d’euros. L’audiovisuel public va bien continuer de fonctionner aux mêmes coûts mais avec un fléchage des recettes de TVA. Pour qu’un pouvoir d’achat soit rendu aux français il aurait fallu que les dépenses publiques baissent d’autant. D’autres impôts vont augmenter ou le déficit (et donc la dette, qui est un impôt reporté) se creusera à due concurrence. Le courage aurait été de baisser la redevance et de mettre l’audiovisuel public face à ses responsabilités, notamment de produire aux mêmes coûts de grille que les chaines privées. Le courage aurait sans doute été aussi de privatiser les chaines publiques qui ne se distinguent pas de ces dernières et de concentrer des ressources raisonnables mais forcément réduites à la véritable fourniture d’un service public œuvrant à l’éducation et à la diffusion des beaux-arts et des savoirs. Ce qui aurait redessiné un paysage concurrentiel acceptable en permettant du coup la fusion M6/TF1.

Ce déguisement de la suppression de la redevance en baisse d’impôt, comme la présente Bruno Le Maire ou Olivier Véran, participe de l’anesthésie fiscale des français qui se vérifie avec l’invisibilité de la TVA, le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu ou la « suppression » de la taxe d’habitation. Ne pas montrer aux contribuables ce qu’ils payent c’est les empêcher d’évaluer le service qui leur est dû en contrepartie : les français en ont-ils pour leur argent ? Et la redevance est assez exemplaire puisque que son prix pouvait se comparer facilement aux prix des multiples autres services audiovisuels payants.

L’État à nouveau se protège et se garde de se frotter au consentement à l’impôt en s’exonérant de remettre en cause un gaspillage qui profite à des situations acquises que personne ne conteste tant elles sont bien dissimulées et finement distribuées.

2) Taxer les « superprofits »

Vice-championne mondiale des prélèvements obligatoires, la France pourrait faire mieux ! L’origine du concept de superprofit est difficile à tracer, mais on en devine les contours :
la situation géopolitique, la hausse des prix de l’énergie et de certaines matières premières auraient permis à certaines entreprises dans certaines situations d’enregistrer des profit « indus » en bénéficiant de l’inflation dans leurs revenus sans la subir dans leurs coûts. Certains pays comme l’Italie ont adopté ce concept et pris quelques dispositions fiscales qui n’ont guère eu d’effet.

Et c’est normal, car cette notion de superprofit n’a pas de définition ni de consistance économique durable, sauf si l’on pouvait symétriquement mettre en face une équivalence de « super perte » qui donnerait lieu à compensation fiscale. (Il est vrai que le traitement économique du confinement n’est pas complètement étranger à cette idée, mais s’est réalisé en grande partie par le chômage partiel et les Prêts Garantis qui ne sont pas des subventions, mais des allégements de charge et des apports temporaires de liquidités). C’est le fondement du capitalisme que de permettre une juste rétribution du travail et du capital. Si le capital n’est plus investi car trop taxé il ne financera plus les investissements qui font les emplois d’aujourd’hui et de demain. Le gagnant du loto qui réalise bien un superprofit n’est pas du tout taxé sur son gain. S’il l’était, les joueurs disparaitraient certainement et donc l’impôt associé aussi.

Faut-il rappeler, par ailleurs, que le premier à s’enrichir grâce aux profits des entreprises et donc à leur augmentation est l’État qui prélève l’impôt sur les sociétés qui est un impôt proportionnel. Montrer du doigt quelques entreprises n’a aucun sens économique.

Mais il faut surtout rappeler aussi qu’in fine tous les impôts sont payés par les ménages, par les individus eux-mêmes. La hausse de la fiscalité des entreprises correspond à une augmentation de leurs charges qu’elles doivent nécessairement répercuter dans leurs prix sous peine de disparaître.

Dans un environnement concurrentiel normal, un effet d’aubaine provoqué par la possibilité d’une hausse des prix ou d’une baisse de charges inattendues ne peut être que temporaire. Plutôt que de vouloir profiter lui-même de cet effet d’aubaine pour s’exonérer d’une gestion précautionneuse des deniers publics, L’État ferait mieux de s’assurer que les conditions d’une saine concurrence sont remplies et ne pas la perturber ni par la taxation ni par la subvention.

3) Interdire, limiter, taxer les déplacements en jets privés.

A l’heure du réchauffement climatique, de l’urgence environnementale, des incendies de forêt et des inondations au Pakistan comment peut-on se déplacer en jets privés ? Tout simplement parce que les jets privés n’ont pas grand-chose à voir avec tous ces maux. Oui le réchauffement climatique est incontestable, oui ses effets sont perturbants pour l’environnement et ont des conséquences négatives pour les espèces vivantes, oui sa cause est très certainement liée aux activités humaines et au progrès économique dont l’humanité profite depuis 150 ans.

Mais avant de faire le procès des jets privés (et surtout de leurs utilisateurs, bien jalousés avant cet argument écologique) il faudrait mesurer leur contribution aux émissions de CO2. Les chiffres donnés par le Gifas sont parlants et effectivement appellent à une réaction urgente et de grande ampleur :
Le transport aérien civil représente 2% des émissions de CO2 au niveau mondial.
L’aviation d’affaires représente 10% du trafic et 2% de ces émissions, soit 0,04% des émissions de CO2 mondiales.
La France représente 2,6% du trafic mondial d’affaires, soit 0,001% des émissions mondiales. Pour l’Europe le trafic d’affaires représente 0,006% des émissions globales.

Le bannissement recommandé des vols privés en jet par de sages politiques n’aurait donc qu’un effet microscopique sur les émissions de CO2 mais sans doute un effet désastreux sur l’emploi, la technologie et le commerce extérieur de notre pays. Qu’un petit nombre de gens contribuent plus que proportionnellement aux émissions de CO2 se retrouve dans toutes les classes de la population, et que ce soit les plus riches n’est pas un lien causal : une infirmière libérale produit plus de CO2 qu’une infirmière hospitalière, un pauvre vivant dans une passoire thermique davantage qu’un plus riche dans un logement bien isolé, un pauvre dans une vieille voiture aux normes dépassées bien plus qu’un riche dans un véhicule moderne etc. Même si l’on sait que la Chine et les États-Unis sont les plus gros émetteurs de CO2, malheureusement au niveau global ce sont bien les pays les plus pauvres qui présentent les niveaux de pollution les plus élevés, comme en témoigne l’IPE de l’université de Yale qui met en tête le Danemark, le Luxembourg et le Suisse et en queue Haïti, le Tchad, et Madagascar…Car le niveau de performance environnementale est positivement corrélé au PIB par habitant.

Nos moralistes devraient davantage s’intéresser aux sources réelles des émissions de CO2 – le gaspillage alimentaire des ménages représente 3% à lui seul : qu’avez-vous mis dans votre poubelle ? – Nos politiques devraient s’organiser pour que le principe « pollueur payeur » s’applique globalement. Leur responsabilité est de mettre en place un vrai marché du CO2 qui enverrait un « signal prix » susceptible de réduire effectivement nos émissions de carbone par la modération des usages et le progrès de la technologie, rendant ainsi compétitives des solutions qui ne le sont pas tant que les externalités négatives de nos habitudes ne sont pas payées à leur juste prix.

Cela nous éviterait cet ordre moral déguisé en planification écologique dont les aberrations économiques nous coûtent très cher depuis un moment déjà. Cela éviterait les procès aux allures staliniennes où des innocents viennent s’excuser des plaisanteries qu’ils ont faites.
Et cela éviterait la frustration d’attendre en vain de ceux qui ont une grande notoriété et une large audience qu’ils soient vertueux pour cette seule raison. L’histoire n’en donne guère d’exemples.

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