Analyse économique

novembre 2015

L’Espagne du début des années 2000 ou comment la maladie peut prendre l’apparence de la santé

L’approche des élections législatives en Espagne en décembre est l’occasion de revenir sur l’histoire récente de l’économie de ce pays pour mieux voir comment certains déséquilibres économiques peuvent générer l’apparence de la santé économique avant de causer beaucoup de problèmes.

Que l’on revienne en 2007 et l’économie espagnole faisait alors figure d’excellente élève dans la zone euro. Entre 1999 et 2007, l’économie espagnole avait crû en moyenne à 3,7% contre 2,2% pour l’ensemble de la zone euro. Le taux de chômage avait baissé régulièrement à 8%. Les gouvernements Aznar et Zapatero avaient fait preuve de rigueur et transformé un déficit budgétaire de 1,3% en 1999 en un excédent de 2,0% en 2007, ce qui avait permis de réduire la dette publique à 35% du PIB. A titre de comparaison, le déficit moyen de la zone euro était de 2,0% sur la période et le ratio d’endettement atteignait 65% en 2007.

La réalité que ces bons chiffres faisaient oublier est que l’Espagne connaissait alors une énorme bulle immobilière durant la première partie des années 2000. La construction a représenté jusqu’à 11% de l’activité économique contre 5 à 6% en moyenne dans la zone euro. L’endettement du secteur privé a fortement augmenté sur la période, tant du côté des ménages que des promoteurs immobiliers. Cet endettement se faisait en grande partie in fine vis-à-vis de contreparties étrangères, ce qui permettait de financer un déficit courant colossal : en 2007, le pays consommait 9% de plus qu’il ne produisait.

Quelles sont les causes de cette bulle immobilière ? Elles sont évidemment à chercher du côté des taux d’intérêts qui étaient historiquement bas pour deux raisons. La première est qu’en entrant dans l’euro, l’Espagne a supprimé le risque de change pour lequel les investisseurs demandaient à être compensés : auparavant, une banque allemande qui aurait prêté de l’argent en pesetas à une entreprise espagnole aurait demandé un taux d’intérêt la compensant pour le risque de défaut, c’est à dire que l’entreprise ne rembourse pas, mais aussi pour le risque de change, c’est-à-dire que la peseta se dévalue face au deutsche mark sur la période du prêt. L’euro, ayant fait disparaître ce risque de change a permis à nombre de pays d’emprunter à des taux bien plus bas que leur expérience historique. La deuxième raison est que la BCE fixe sa politique monétaire pour l’ensemble de la zone euro. Or, l’Allemagne, première économie de la zone euro, était alors l’homme malade de l’Europe, avec une croissance de seulement 0,6% en moyenne entre 2000 et 2005, ce qui pesait donc lourdement sur la croissance globale de la zone euro et a donc amené la BCE à avoir une politique très accommodante.

En conséquence, les taux étaient alors trop bas pour l’économie espagnole qui est entrée en surchauffe, celle-ci se manifestant principalement par une hypertrophie du secteur de la construction. Par effet de contagion, les salaires ont fortement augmenté dans l’ensemble de l’économie, ce qui a affaibli la compétitivité du secteur concurrentiel, pesant encore davantage sur le solde courant. Les marges des entreprises se sont dégradées, obligeant celles-ci à emprunter davantage pour investir. Les déséquilibres sectoriels ne restent jamais confinés au secteur incriminé : la surchauffe d’un secteur a toujours un effet bénéfique sur la demande domestique d’un pays et crée donc une apparence de prospérité générale. Comme le montre le deuxième graphique ci-dessous, au début des années 2000, la croissance était à peu près la même pour la construction que pour les autres secteurs. Ceci s’explique par les effets d’entrainement des différents secteurs entre eux. Sur le long terme, pour être équilibrée, la croissance doit trouver sa source dans une augmentation de la productivité de l’économie. Quand ce n’est pas le cas, les excès passés risquent toujours d’être payés au prix fort.

Espagne:
PIB par habitant et productivité base 100 en 1999

Espagne-PIB-par-habitant-et-productivite-base-100-en-1999

A partir de 2008, du fait du retournement du cycle économique global, l’inéluctable dégonflement de la bulle immobilière s’est produit. L’activité dans le secteur de la construction a été divisée par deux. Cela a évidemment eu des conséquences sur l’ensemble de l’économie : chute d’activité, problèmes dans le secteur bancaire, problèmes budgétaires mais le pays ne pouvait pas continuer à construire bien plus de logements que ce qui est nécessaire ! Il est donc tout à fait erroné d’imputer à la seule rigueur budgétaire l’évolution de la croissance espagnole des dernières années.

Depuis, la modération du coût du travail, couplée à une forte augmentation de la productivité, a permis de rattraper une partie des excès passés et au pays de se remettre sur les rails d’une croissance mieux équilibrée. Si l’on exclut le secteur de la construction, le PIB espagnol est aujourd’hui revenu au-dessus de son niveau d’avant la crise et devrait maintenir un rythme de croissance soutenu.

Espagne:
PIB total et hors construction base 100
au deuxième trimestre 2008

Espagne-PIB-total-et-hors-construction-base-100-au-deuxieme-trimestre-2008

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