Parole d’entrepreneur

novembre 2014

Louis Delas Directeur Général du groupe l’Ecole des Loisirs

Avec 5 000 titres au catalogue, 300 nouveautés par an
et plus de 1 000 auteurs, le groupe l’école des loisirs est aujourd’hui leader en France dans le domaine de l’édition pour l’enfance et la jeunesse.

Après avoir dirigé les activités jeunesse et bande dessinée du Groupe Flammarion, notamment les célèbres éditions Casterman, Louis Delas a rejoint, début 2013, la direction du groupe familial.
À son arrivée, il créé les éditions Rue de Sèvres, filiale du même groupe, et dédiées à la bande dessinée.

L’activité jeunesse du groupe, créée en 1965, fêtera ses 50 ans en 2015.

Après une carrière dans des grandes maisons d’édition, pourquoi être devenu entrepreneur ?

On peut dire que c’est un virus familial puisque la maison d’édition, qui publiait initialement des manuels scolaires, a été créée en 1922 par mon arrière-grand-père. Je suis l’aîné de la quatrième génération de dirigeants-actionnaires, ce qui n’est pas si fréquent.

Après plus de vingt années passées dans plusieurs maisons d’édition de différentes tailles où j’ai beaucoup appris, ce qui me motive tout particulièrement aujourd’hui, c’est le triangle liberté, proximité, créativité.

La liberté, notamment financière, est le prérequis indispensable. Elle permet de ne pas céder au diktat du courtermisme et de la financiarisation, particulièrement incompatible avec un métier qui exige d’avoir à la fois une vision artisanale à court terme et une vision stratégique à moyen et à long termes. Cela est particulièrement vrai aujourd’hui avec les nouveaux enjeux liés au développement de la consommation de biens culturels sur des supports numériques. Mon grand-oncle avait une belle métaphore à ce propos : « Il faut diriger la société avec des lunettes à double foyer et avoir en permanence le regard qui fait la navette de haut en bas et de bas en haut. » J’applique scrupuleusement ce conseil, à la nuance près qu’il existe désormais des verres progressifs !

La proximité avec les clients et avec les équipes, le pragmatisme, la réactivité, le professionnalisme sont des compétences qui ne sont pas assez valorisées aujourd’hui.

Dans les grands groupes, le turn-over, le temps et l’énergie passés en reporting et en politique interne sont, à mon sens, de véritables freins aux capacités d’anticipation. Or, dans un monde en mutation exponentielle, tout dirigeant doit avoir comme obsession la prise de risque et le souci permanent d’adaptation.

La créativité, la recherche et le développement sont clairement le point de départ incontestable, la locomotive. C’est pourquoi le dirigeant doit placer les équipes créatives dans un équilibre complexe et perpétuellement mouvant entre autonomie et responsabilisation, confiance et remise en cause, contraintes de marché et convictions. Son rôle doit être celui d’un infatigable animateur, comme ces artistes dans les cirques qui s’emploient à faire tourner et à maintenir en équilibre des assiettes, de plus en plus nombreuses, sur des tiges. Il est clair que la dimension humaine, incontournable pour bien jouer ce rôle, s’exerce plus facilement dans des entreprises dont la taille permet le contact direct avec les équipes.

Le chef d’entreprise est-il le seul à entreprendre ?

Bien évidemment non. Mais au delà de fixer le cap et de motiver sur le projet d’entreprise, la clé de la capacité d’entraînement du dirigeant se trouve dans la confiance réciproque et le respect indispensable de l’autre. Cela est particulièrement vrai dans un métier à l’origine duquel se trouvent toujours un auteur et une création, avec ce que cela signifie de mélange permanent de problématiques rationnelles et irrationnelles – et cela à tous les stades de la réalisation d’un projet et dans tous les départements de la société.

Pour vous, qu’est-ce que la création de valeur ?

Dans notre activité, incontestablement la qualité et la pérennité. 75 % de notre chiffre d’affaires est fait sur le fonds, c’est-à-dire sur l’exploitation du catalogue des ouvrages publiés les années précédentes. 85 % de ceux-ci sont des créations maison, traduites dans plus de 50 langues.

Jouer ce rôle de passeur qui consiste à résoudre, le plus harmonieusement possible à travers les générations, les cultures, les modes et les contraintes de toutes sortes, cette équation magique entre un auteur et ses lecteurs, est un défi qui, croyez moi, maintient jeune. Il n’y a qu’à voir l’énergie de nombre d’éditeurs ayant largement dépassé l’âge officiel de la retraite.

Claude Ponti, un des auteurs phare de l’école des loisirs, dit « TOUS les enfants méritent le meilleur de nous », voila une valeur et un bel objectif porteur d’avenir. N’oublions pas qu’entre lecteur et électeur il n’y a qu’une lettre de différence.

Et puis surtout, transmettre, que ce soit une création, une entreprise, un projet, une connaissance, une opinion, une émotion, c’est plus qu’un devoir personnel ou professionnel, c’est une satisfaction inégalable.

Le paradoxe est que dans notre société actuelle tout est mis en œuvre, notamment par les pouvoirs publics, pour vous empêcher de le faire.

Quelles sont les trois mesures que vous prendriez pour améliorer le développement des entreprises françaises ?

D’abord reconsidérer l’accessibilité au travail, sa souplesse et sa flexibilité, particulièrement en direction des jeunes. Une société qui n’est pas capable de proposer un emploi et une perspective aux nouvelles générations génère un message d’égoïsme désespérant. Tout le monde le sait, tout le monde en parle et personne n’a réellement le courage de le faire.

Bien sûr il y a eu des abus et des comportements inadmissibles de la part de certaines entreprises, mais les dispositions de ces dernières années dans ce domaine, notamment celles relatives à l’apprentissage, sont simplement catastrophiques. Je croise tous les jours des jeunes formidables, qui ont franchi au prix de grands sacrifices toutes les épreuves qui leur ont été imposées, j’ai du travail pour eux et je ne peux pas les engager à cause du carcan conservateur qui nous est imposé et de l’incertitude des dispositions législatives à venir imaginées par des politiques dont la plupart ignorent – ou méprisent – les fondements les plus élémentaires de la vie d’une entreprise ainsi que le rôle et l’engagement de ses actionnaires.

Redonner un sentiment d’équité entre le public et le privé. En temps de crise, ces disparités, pour ne pas dire ces injustices, sociales et fiscales sont une source de démotivation, d’agressivité et de frustration malsaines. Il n’est évidemment pas question de faire ici des amalgames caricaturaux, mais une pédagogie objective sur leurs rôles respectifs dans la société me paraît urgente dès le plus jeune âge, afin de limiter ce clivage et le développement d’un pays à deux vitesses durablement affaibli face aux multiples défis qui nous attendent.

Et puis forcément, pour terminer, un sujet qui me tient à cœur : valoriser et aider les PME, notamment familiales. Elles sont souvent source d’excellence, de stabilité et de création d’emploi. Les dispositions réglementaires et fiscales qui s’accumulent sur elles, cibles faciles, depuis des années, tant pour leur vie au quotidien que pour leur transmission, sont simplement incompréhensibles.

Grégoire Solotareff, un auteur de l’école des loisirs, a coutume de dire : « Si les auteurs sont heureux, ils font des livres gais. » On pourrait le paraphraser en disant : « Si un chef d’entreprise est heureux, il créé des emplois… » Évidemment, de tels propos ne sont pas dans l’air du temps, mais c’est justement pour pouvoir les tenir que j’ai accepté la sympathique invitation des fondateurs du Cercle Jean-Baptiste Say.

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