Parole d’entrepreneur

janvier 2024

Marius Hamelot, co-fondateur de Le Pavé

www.sasminimum.com

Changer le monde par l’Éco-construction

Marius grandit à Argentré-du-Plessis, un village de 3500 habitants à 25 minutes de Rennes. À la frontière entre urbanité et ruralité. Il y rencontre Jim Pasquet, son associé, sur les bancs de l’école primaire. Ses deux parents, architectes tous les deux, ont leur propre cabinet.

Lorsque qu’on demande au jeune Marius ce qu’il veut faire plus tard il répond : pas architecte ! Pourtant, après des études secondaires à Vitré, il rejoint… l’école d’architecture de Versailles. Des études qui lui permettront « d’aborder des sujets à la fois politiques, urbains, économiques, environnementaux, et d’aborder la société d’une manière plus concrète que dans d’autres disciplines ». En dernière année, il a l’opportunité de s’intéresser au développement des matériaux permettant aux architectes d’éco-concevoir, de « transformer le monde de manière vertueuse ».

Il développe sa première initiative entrepreneuriale avec un copain alors qu’il est encore au collège. Ils récupèrent des iPhones cassés, les réparent et les revendent sur Le Bon Coin. Plus tard ils développent des tutoriels pour que les gens puissent encore plus simplement réparer leurs iPhones eux-mêmes. Et ils cherchent à acheter des terrains pour permettre de planter un arbre à chaque écran vendu. Déjà guidé par cette volonté d’entreprendre en ayant un impact positif.

Collégien et mineur, il est obligé d’arrêter. Il se promet que la prochaine fois il ira jusqu’au bout. L’opportunité se présente quelques années plus tard avec un projet étudiant : comment créer un modèle de campus universitaire / incubateur au beau milieu du désert Kenyan, duplicable ailleurs, avec un budget réduit à sa plus simple expression et sans utiliser de sable. Ou comment construire avec…rien. La solution : utiliser les matériaux disponibles dans la décharge voisine, l’une des plus grandes en Afrique.

Parmi les solutions que les étudiants développent il y a ce revêtement de sol réalisé à partir de petits pavés de plastique recyclé.

Deux semaines après la fin du projet, profitant d’un trajet en train, il formalise son idée, la partage avec un industriel spécialiste de l’impact environnemental qu’il rencontre dans la foulée. Puis tout s’accélère. Une première collaboration, les premières expérimentations produit, les premières récompenses dans les concours d’entrepreneuriat social, et la rencontre déterminante avec Jean-Philippe Courtois, N°2 de Microsoft et incubateur avec Live-for-Good, qui accompagne les jeunes entrepreneurs dans la création de Le Pavé.

La deuxième passion de Marius est l’apnée qu’il pratique avec les Grenouilles de Paris et dans le sud de la France, juste pour le plaisir de faire un avec le monde aquatique.

Le Pavé est comme le présente ses fondateurs « …un électron libre qui connecte deux mondes, celui du déchet et celui du bâtiment, en s’appuyant sur un écosystème de 5000 partenaires tout au long de la chaîne de valeur : les architectes, les artisans, les industriels, les recycleurs, les repreneurs et les producteurs de déchets. »

Créée en 2018, l’entreprise a déjà recyclé plus de 700 tonnes de plastique. Elle connaît une croissance de +300% chaque année. Elle emploie 32 personnes, et gère deux usines qui produisent deux matériaux, l’un réalisé à partir de bouteilles de shampoing et l’autre à partir de portes de frigos.

Elle compte parmi ses clients : Eiffage, Maisons du Monde, Groupama, BNP-Paribas ou encore Adidas. Elle a réalisé jusqu’à présent plus de 1500 projets dont la production de 11000 sièges pour deux sites des jeux olympiques de Paris : l’Arena Porte de la Chapelle et le Centre Aquatique de Saint-Denis.

1) Pourquoi être devenu entrepreneur  ?

Un stage au cours de mes études dans un grand cabinet international d’architecture m’a vraiment inspiré. J’ai pris conscience qu’on a tous, chacun à son niveau, la capacité de s’engager et de changer les choses. Je vois dans l’action, quelque chose de salvateur. C’est ce besoin d’agir qui me pousse à entreprendre. Et ne jamais regretter de ne pas avoir essayé.
On est très Shadoks chez nous. La devise «Il vaut mieux pomper même s’il ne se passe rien que risquer qu’il se passe quelque chose de pire en ne pompant pas» a vraiment fait partie de ma démarche depuis le début, et partie de l’ADN de la boîte aujourd’hui. Après c’est vraiment l’opportunité qui m’a fait basculer avec ce double constat frappant : d’un côté, on a un secteur du bâtiment qui utilise les mêmes ressources depuis des centaines d’années, sans se réinventer, et de l’autre, on a une surproduction de matière plastique qui est inexploitée et qui nuit à notre environnement. Je ressentais le besoin de proposer des solutions, avec un engagement personnel à 100%.

2) Le chef d’entreprise est-il le seul à entreprendre ?

Si c’est le cas, ça veut dire que la boîte est limitée par son dirigeant.
Notre rôle en tant qu’entrepreneurs c’est l’esquisse : définir les rôles et les champs d’action. Au sein de ces champs d’action nous devons laisser libre cours pour que chacun, dans son cadre respectif, entreprenne, joue, interagisse avec l’ensemble des parties prenantes et fasse grandir le projet. C’est un peu un système organique. Ma responsabilité, c’est de faire en sorte qu’il y ait une alchimie entre ces différents cadres, que tout le monde travaille dans de bonnes conditions, et que l’entreprise soit au rendez-vous de ses ambitions sur le long terme. Il est vrai que nous portons avec mon associé un risque supplémentaire en tant que mandataires sociaux de l’entreprise. Ce risque est inhérent à l’entrepreneuriat. Il n’y aurait pas de mouvement sans ce risque. Avec Jim nous prenons les décisions qui vont potentiellement le plus impacter l’entreprise ou qui vont faire porter un risque à l’entreprise qui serait plus grand que d’habitude.
Donc oui j’ai à ce titre une responsabilité particulière. Mais au même titre que la personne qui va être au contact du client a des responsabilités aussi très fortes et doit être consciente des conséquences que ça pourrait avoir sur l’ensemble de l’entreprise. Pour moi, la notion d’entrepreneuriat, c’est la proactivité et la conviction que ton action peut engager un changement. Donc de ce point de vue, tout le monde a la capacité d’entreprendre. Nous sommes très existentialistes chez nous, c’est par nos actes que nous nous définissons, que nous nous réalisons. D’ailleurs on pose souvent en entretien d’embauche la question : « … quand est-ce que tu as entrepris quelque chose la dernière fois ? ».

3) Pour vous, qu’est-ce que la création de valeur ?

On essaie de structurer notre vision de l’impact et de la création de valeur autour de notre projet industriel. Et pas tant sur la matière que sur la manière.

On s’est vite rendu compte que pour avoir un impact sociétal et environnemental ultra fort, il faut être indépendant. Et pour être indépendant et pour redistribuer de la valeur économique, il faut en créer.
Il était important de structurer notre modèle économique, notre stratégie d’entreprise et notre croissance pour faire en sorte que l’entreprise qu’on crée soit encore valable dans 50 ans et qu’elle puisse participer à un autre mode de société plus local, plus connecté aux utilisateurs et à leur environnement. Au départ, notre but était de concevoir un matériau 100% fabriqué à partir de déchets et beau. Aujourd’hui on s’aperçoit que ce matériau n’est que la conséquence de ce qu’on souhaite réellement faire.
En fait, ce qu’on souhaite faire, c’est réinventer un nouveau système industriel qui s’implante dans les territoires et qui soit capable de reconnecter les utilisateurs à leur environnement. Et en faisant cela, on crée des matériaux qui ont du sens, des matériaux qui sont fabriqués à partir de ressources inexploitées, localement. Aujourd’hui, avec Le Pavé, on a deux matériaux fabriqués à partir de plastique, mais on a la volonté de devenir le leader européen des matériaux durables et de de créer une multitude d’écomatériaux pas forcément à partir de déchets plastiques, mais à partir d’autres ressources inexploitées.

4) Quelles sont les trois ou quatre mesures à prendre pour améliorer
le développement des entreprises françaises ?

a/ Poursuivre la politique d’aide à la création
Entreprendre, c’est compliqué.
C’est super compliqué de traiter des déchets en très grosse quantité.
C’est super compliqué d’inventer un procédé industriel adapté à la transformation des déchets et c’est super compliqué d’adresser un matériau fabriqué à partir de 100% de déchets que personne n’a jamais vu dans le secteur du bâtiment à très grosse échelle. Tout est super compliqué. La bonne nouvelle c’est qu’on a toujours rencontré un accueil favorable de l’ensemble des parties prenantes qu’on a pu rencontrer. Et on a eu la chance d’être soutenu par l’État via des dispositifs d’aides et de subventions, par la BPI, la région Île de France, la région Bretagne, l’ADEME. Les actions politiques qui ont été décidées durant les 5 dernières années dans ce domaine vont dans le bon sens. Il faut les poursuivre.

b/ Avantager les entreprises qui créent des externalités positives
Le sujet des avantages concurrentiels dont bénéficient les matériaux non vertueux d’un point de vue environnemental ou social, ou qui ne vont pas créer autant d’externalités positives que les nôtres, est un vrai sujet. Les externalités positives ne sont pas suffisamment reconnues et valorisées, notamment dans les appels d’offre. Il faudrait trouver un moyen de rendre encore plus compétitives les solutions d’économie circulaire qui participent à valoriser des ressources environnementales disponibles. D’autant que ces solutions apportent d’autres bénéfices. Elles créent des emplois par exemple : 1000 tonnes de plastique recyclé, c’est huit emplois qui sont créés dans le secteur. Quatre entreprises se sont déjà créées à partir de nos matériaux. L’un des leviers possibles pour encourager les solutions à externalités positives est le taux de TVA réduit.

c/ Promouvoir l’innovation dans toutes ses dimensions
Il est essentiel de sensibiliser tous les échelons de la société aux enjeux de la transition environnementale et ses bénéfices. Le PDG de Saint-Gobain a déclaré récemment que l’innovation de rupture n’est pas technologique. Que l’on peut parler d’innovation de rupture lorsqu’on arrive à faire bouger toute la chaîne de valeur en même temps. Nous n’en avions pas conscience au début mais c’est ce que nous faisons en conduisant le changement dans tout l’écosystème, en essayant d’aligner les intérêts de toutes les parties prenantes autour de notre initiative. L’innovation n’est plus simplement technologique, elle est aussi sociale et environnementale, en embarquant tout le monde dans quelque chose qui n’a jamais été fait. L’industrie c’est passionnant, et c’est dingue de voir à quel point le paysage industriel a changé en 5 ans. Quand on a commencé, on faisait le tour des industriels pour trouver des sous-traitants. C’était un peu déprimant. Tout le monde nous parlait de la désindustrialisation, du fait que c’était « plus comme avant »…

Aujourd’hui, si on refaisait le même tour des industriels, je pense qu’ils n’auraient même pas le temps de nous accueillir parce qu’en fait tout est en ébullition. Tout bouge en ce moment, il y a vraiment un regain d’activité dans l’industrie qui est incroyable. Je pense que c’est important de véhiculer ce message positif, que le malade se réveille, et accompagner cette transformation positive.

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