Au fil des lectures : reçu 10/10

mars 2023

« Une vérité appartient, non pas au premier qui la dit, mais au premier qui la prouve. » (traité 1ère ed.)

Olivier Babeau La tyrannie du divertissement – Buchet Chastel

La France est le pays où l’on travaille le moins comme en témoignent les chiffres de l’OCDE. Pour faire de bonnes comparaisons sur les capacités productives il est utile de prendre en masse les heures travaillées : en 2019, 41 milliards d’heures travaillées qu’il est intéressant de rapporter à la population totale : 610 heures par habitant, soit 3 mois et 16 jours. Alors que l’Italie est à 670 heures, l’Allemagne et l’Espagne à plus de 700 heures, les Pays-Bas et l’Autriche à près de 750 heures, la Suède, l’Irlande, la Suisse et le Royaume-Uni travaillant entre 800 et 900 heures…Et la tendance française ne s’améliore pas : comparable à l’Allemagne en 2004 avec 616 heures, ce nombre a baissé pour la France alors qu’il a progressé pour l’Allemagne de 88 heures.

Pour compenser cet écart et produire autant que les autres il faudrait que la productivité de l’économie française (quantité de biens et services produits par heure travaillée) soit très supérieure à celle de ses concurrents. Or la productivité est en déclin relatif en France, notamment du fait de la désindustrialisation, car les gains de productivité se font bien davantage dans l‘industrie que dans les services. En produisant moins que les autres et moins que nos consommations, le maintien de notre prospérité (qui est une notion relative) est questionnable. Mais ce temps passé à ne pas produire ne serait-il pas un choix de société ? n’aurait-il pas une valeur supérieure ? C‘est la question que pose Olivier Babeau.

Blaise Pascal dans ses Pensées parle du divertissement comme moyen pour l’homme d’éviter de penser à son sort et à son mystère. Sans divertissement pas de joie, et avec le divertissement point de tristesse. Aussi Pascal met le travail dans le champ des divertissements. Ce n’est pas le cas de Babeau qui oppose le travail et le temps libre, les loisirs ; et ce sont ces loisirs qu’il juge menaçants : le développement du temps libre ne s’est pas fait avec l’éducation nécessaire pour le gérer. Trois usages sont possibles pour ce temps libre qui peut être réservé au temps passé avec et pour les autres ; il peut être aussi l’occasion de loisirs studieux permettant à l’esprit ou corps d’améliorer leurs capacités ; ou il n’est passé qu’aux divertissements apportant un plaisir immédiat et s’épuisant dans l’instant.

Et bien sûr notre auteur de mettre les écrans, les réseaux sociaux et leurs usages infinis dans cette dernière activité, ouverte aux manipulations et à l’asservissement. Ce temps libre augmenté se trouve être un cadeau empoisonné particulièrement toxique pour les classes peu éduquées à le gérer. D’où les troubles alimentaires, les dépendances à l’alcool ou à la drogue qui s’y retrouvent davantage. Que faire de ce temps libre qui devient une source nouvelle d’inégalités sociales et qui consume nos libertés ?

Bien davantage que les inégalités financières, Babeau s’inquiète de la montée croissante des inégalités cognitives qui nourrissent le ressentiment, la frustration et qui provoquent la dépression que Pascal attribuait au manque de divertissement.
Babeau plaide pour une politique d’éducation à la gestion de ce temps libre, pour le rendre utile.
Nous pensons que consacré au travail, il serait aussi utile à réduire les inégalités de toutes sortes et à nous repositionner dans la compétition mondiale pour sécuriser et transmettre notre prospérité.

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