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juin 2018

« Une vérité appartient, non pas au premier qui la dit, mais au premier qui la prouve. » (traité 1ère ed.)

Frédéric Lavenir Directeur Général de CNP Assurances : une vision éclairée

frederique_lavenirÀ la tête d’une entreprise de 5000 salariés, cotée en bourse, Frédéric Lavenir est un dirigeant discret. Diplômé d’HEC, Inspecteur des finances, il était invité récemment à s’exprimer devant le Centre de Professions financières. Très forte impression sur un public de financiers pas facilement impressionnables et sur nous-mêmes. Sujet pourtant ardu : la réglementation financière. En souhaitant être le plus fidèle à sa pensée nous espérons qu’il n’en voudra pas à la Décade de la juger assez forte pour en partager quelques éléments avec ses lecteurs :

La disparition de la notion de valeur fiable dans l’univers financier : la valeur d’un actif financier s’est longtemps confondue avec le prix payé pour l’acquérir, et la révision de celle-ci dans les livres d’un investisseur était conditionnée à des critères stricts et compréhensibles et ne pouvait se faire, si nécessaire, qu’à la baisse. La multiplication des normes, prudentielles (Solvency 2), comptables (IFRS 17 et 9) et fiscales conduit à la reconnaissances de trois valeurs pour un même actif (ou passif). Un dispositif incompréhensible pour les actionnaires, les dirigeants et salariés et les régulateurs eux-mêmes. Instable, il interdit toute comparaison géographique (seule l’Europe l’applique) ou temporelle puisqu’il laisse en plus des options à chaque acteur. Illisibilité totale plutôt que transparence : rupture de la confiance.

Dans la multiplication des normes, on reconnaît la perte de contrôle du politique qui a confié à des organismes « indépendants » le pouvoir de réglementer, de contrôler et de juger. Ce qui ajoute instabilité et incohérence ; par exemple, les directives financières MIF exigent d’accumuler le plus d’informations possible sur les clients alors que le RGPD (règlement sur la protection des données) contraint énormément la collecte et le traitement de celles-ci. Des injonctions contradictoires se font jour, multipliant les coûts pour les agents économiques et les mettant dans une forme d’insécurité juridique permanente. Recul démocratique, donc.

Un autre effet de ces évolutions est le triomphe du court terme. En privilégiant la valeur de marché, nécessairement volatile, comme reflet de la juste valeur et en contraignant les investisseurs sur la base de celle-ci, le régulateur interdit la projection à long terme alors que le propre de l’industrie financière (banque et assurance) est de transformer de la capacité d’épargne instantanée en investissements et protections de long terme. Cette mauvaise allocation du capital est génératrice d’inefficience économique.

Enfin et plus grave encore, Frédéric Lavenir identifie un effet de la réglementation induisant une modification des comportements susceptible d’avoir des effets collectifs majeurs : la démutualisation. Le capitalisme n’a pu se développer que par le mutualisme économique et social : crédit, épargne, assurance. Dans ce dernier domaine, les normes comptables IFR 17 exigent la constitution de cohortes de risques homogènes à l’opposition de la mutualisation des individus et des générations. En mettant en lumière des cohortes à risques potentiellement plus élevés, les prix seront donc plus élevés pour celles-ci. Avec le risque d’exclusion des plus modestes. L’assurance emprunteur en France s’est déjà engagée dans cette direction avec une individualisation des primes en fonction de l’évaluation des risques du souscripteur. La démutualisation, au-delà de ses conséquences économiques potentiellement négatives, c’est surtout la rupture d’une liaison facilitant la mobilité sociale, donc l’accroissement du déterminisme et finalement une source du ressentiment politique.

À écouter Frédéric Lavenir, il est clair que les réglementations financières actuelles se présentant avec les meilleures intentions dessaisissent un politique apparemment incompétent qui n’a pas pu empêcher les crises de 2007 et 2011. Elles conduisent en fait à la rupture de la confiance, au recul démocratique, à l’inefficience économique et à l’affaiblissement du lien social. Pour contrer le ressentiment qui en résulte, le politique doit reprendre sa réflexion sur ces sujets qu’il a abandonnés pour retrouver sa légitimité et sa capacité d’action dans ce domaine.

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