Analyse économique

juin 2019

Les enjeux d’une faible croissance de la productivité

Les lecteurs de la Décade ont eu plusieurs fois l’occasion de constater le ralentissement de la croissance de la productivité (mars 2018, octobre 2017, mai et juin 2017). Même si les derniers chiffres américains font état d’une amélioration, la tendance semble bien présente et pose de nombreuses questions, pour les pays développés comme pour les pays émergents. Le think tank américain Brookings Institute vient de publier un ouvrage, Facing up to low productivity, qui regroupe les contributions de nombreux experts sur les différentes origines et conséquences de ce phénomène et sur les solutions à y apporter. Alors que de nombreuses politiques font l’hypothèse d’un rebond de la croissance de la productivité (voir les simulations du Conseil d’Orientation des Retraites en France par exemple), ils appellent à des mesures à fois d’adaptation et de mitigation des effets de cet essoufflement de la productivité.

Les conséquences de premier ordre d’une moindre croissance de la productivité sont évidentes : plus faible croissance économique et croissance réduite du niveau de vie. Mais les différentes contributions montrent de nombreux effets de second ordre à prendre en compte, notamment sur le plan fiscal.

La première contribution au Brookings Institute établit un impact ambigu sur le plan de la soutenabilité de la dette. Celle-ci dépend avant tout du différentiel entre la croissance et le coût de financement ; si la faiblesse de la productivité a des conséquences sur la croissance économique, elle peut aussi amener une révision en baisse des taux d’intérêts, ce qui semble être aujourd’hui le cas, rendant l’impact global ambigu. Néanmoins, on peut objecter le cas d’un pays comme l’Italie où la faiblesse de la croissance potentielle invite les investisseurs à réclamer une prime de risque plus élevée. Une autre contribution s’intéresse à l’impact sur le solde budgétaire. Une moindre croissance réduit l’effet de progression à froid, qui gonfle les recettes fiscales lorsque la croissance réelle est supérieure à l’ajustement des seuils d’imposition. Par ailleurs, le poids des dépenses indexées sur l’inflation a tendance à augmenter et la moindre croissance augmente le nombre de personnes pauvres, donc sujettes aux aides sociales. Selon une simulation des auteurs, ces effets pourraient augmenter le déficit de 2% du PIB à l’horizon d’une vingtaine d’années aux États-Unis. Concernant les systèmes de retraite, la question de l’indexation des prestations est importante : qu’elle se fasse sur le niveau général des salaires ou sur le niveau des prix, l’impact sur la solvabilité du système n’est pas la même, la première solution étant préférable, puisqu’elle aligne les prestations sur leur base de financement.

Les conséquences sont très néfastes en termes de stabilité financière. Un environnement de faible croissance de la productivité et de taux d’intérêts très bas encourage l’endettement par les entreprises et les ménages, pour financer des investissements pas nécessairement productifs. De même, ce contexte fragilise les acteurs du secteur financier, banquiers comme assureurs, en réduisant leur capacité bénéficiaire.

Il ne peut pas y avoir de croissance élevée des salaires réels sans croissance élevée de la productivité. Même si le lien est peut-être moins fort que par le passé, il reste présent et le ralentissement de la productivité est le principal facteur derrière la faible croissance des salaires qui a également contribué à l’augmentation des inégalités. Certains facteurs ont pu déformer le partage de la valeur ajoutée comme le progrès technologique ou l’augmentation du pouvoir de marché de certains acteurs (moindre concurrence, voir la Décade de septembre 2017), mais il ne saurait y avoir de prospérité durable sans croissance de la productivité.

Face à cette évolution néfaste, les recommandations sont de deux ordres : adaptation, c’est-à-dire rendre nos économies plus résistantes dans un contexte de faible croissance de la productivité, et mitigation, c’est-à-dire essayer de redresser cette croissance. Les premières visent essentiellement à admettre que la croissance de demain ne paiera pas forcément les dépenses budgétaires d’aujourd’hui : il faut donc assainir les finances publiques pour retrouver de la capacité budgétaire, renforcer les incitations au travail et à l’épargne, mais aussi favoriser ce que les économistes appellent les stabilisateurs automatiques. En contrepartie, le système peut aussi être rendu plus redistributif. Les mesures de mitigation doivent permettre une plus grande concurrence en réduisant les barrières à l’entrée de nouveaux acteurs, faciliter la mobilité des travailleurs et la réallocation des ressources, renforcer les systèmes éducatifs et réduire les barrières commerciales. Des mesures qui ne sont malheureusement pas trop dans l’air du temps !

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