Au fil des lectures : reçu 10/10

décembre 2022

« Une vérité appartient, non pas au premier qui la dit, mais au premier qui la prouve. » (traité 1ère ed.)

Nicolas DUFOURCQ La désindustrialisation de la France Odile Jacob

Suicide ou assassinat ? C’est la question qui se pose à la lecture de l’excellent livre de Nicolas Dufourcq. Fils de hauts fonctionnaires, Inspecteur des finances, passé comme il se doit dans la haute administration, Nicolas Dufourcq a bien complété son programme en passant à la direction générale d’Orange (Wanadoo) et de Capgemini avant de prendre celle de la BPI (Banque Publique d’investissement) il y a dix ans.

A la tête de cet établissement qui ne fait pas toujours consensus, il s’est logiquement frotté au terrain qu’il aime bien et c’est naturellement posé la question de ce qu’il y trouvait : un tissu productif défait. La Décade a souvent eu l’occasion de déplorer la désindustrialisation de notre pays et il faut rappeler quelques chiffres :

Depuis 1980, la population française a progressé de 10 millions d’individus, mais l’emploi dans le secteur marchand a stagné ; les effectifs manufacturiers ont baissé de 6.5 à 2.8 millions ; mais les effectifs de la fonction publique sont passés de 3.8 à 5.3 millions ! La part de l’industrie manufacturière est tombée de 24 à 11% du PIB alors qu’elle est restée stable en Allemagne à 23%.

C’est l’explication de notre chômage de masse (nous sommes au plein emploi avec 7% de taux de chômage !) et de nos déficits commerciaux qui atteignent plus de 100 milliards par an. Et ces déficits ne sont pas qu’avec la Chine ou d’autres pays à bas coûts, mais aussi avec nos voisins européens : Allemagne, Italie, Pays-Bas, Belgique…

Notre insuffisante production de biens repose sur notre incapacité à les produire de façon compétitive. Et l’explication est la bien trop faible productivité de notre dispositif industriel qui a conduit à sa fatale contraction. Dufourcq entreprend de nous éclairer sur les causes du phénomène par une explication pédagogique complète de 80 pages et par les témoignages de 47 personnalités du monde politique (Madelin, Chevènement, Dutreil, Lamy…), d’entrepreneurs (Fontanet – Essilor, La Tour d’Artaise- Seb, Viellard- Lisi, de syndicalistes, de banquiers (Pébereau, Trichet…) et d’économistes. Ce livre « choral » permet un diagnostic complet et vivant à partir de l’expérience de ceux qui ont vécu, subi et parfois organisé cette désindustrialisation qui signe la paupérisation de notre pays. Car comme le résume J-B Say « Prétendre qu’il peut y avoir un revenu qui ne soit pas fondé sur une production, ce serait prétendre que l’on peut consommer une valeur qui n’aurait pas été produite ».

Corrélation Prod. Indus/tête – PIB/tête (US$)

Le tableau qui en ressort souligne la difficulté qu’il y a et qu’il y aura à accomplir la « réindustrialisation » dont tout le monde parle. Car les forces destructrices sont toujours à l’œuvre. La perte de compétitivité de l’industrie française a des cause profondes et durables. Notre État Providence est trop gros, trop lourd et se finance bien trop largement sur la production (et en plus par l’endettement), car notre TVA est comparable à nos voisins. Les impôts de production (en cours de réduction mais toujours trois fois plus importants qu’en Allemagne), nos charges sociales, notre réglementation du droit du travail, notre réglementation générale (environnementale et sociale en particulier) génèrent des coûts, des lenteurs qui nous disqualifient. La retraite à 60 ans en 1982 et les 35 heures en 1998 ont plombé les coûts du travail en dépit des allégements de charges sur les bas salaires qui ont agi comme pompe aspirante à la déqualification. La politique monétaire, en particulier la hausse des taux en 1993 pour défendre le Franc a mis par terre un nombre colossal d’entreprises et a fait rentrer notre monnaie dans l’euro sur une base surévaluée.

L’ISF a pénalisé la capacité des entreprises à investir (au profit de dividendes dont les actionnaires avaient un besoin vital) et notre taxation sur les successions ont conduit nombre de PME et d’ETI dans les mains d’acheteurs étrangers ou de fonds qui ont gardé les marques, les savoir-faire et les réseaux de distribution en délocalisant la production.

Mais quelle pensée, quelle volonté conduisent à ce résultat ? Un bouquet hostile à l’industrie assemblé par notre État. L’Éducation Nationale qui ne connait pas et n’aime pas les entreprises ni l’industrie qui exploite et asservit, qui salit et fait du bruit. Les enseignants du bac pro n’aiment pas l’apprentissage et le travail manuel est dévalorisé. Les syndicats, productivistes au cours des Trente Glorieuses, voient dans les années 70 leurs troupes se clairsemer dans les usines qui ferment et se concentrent sur la défense des privilèges dans les monopoles publics et dans l’administration. Et finalement sans doute directement, l’État centralisateur et sa haute administration ignorante du sujet, qui se développe en rivalité de pouvoir avec les entreprises et en particulier avec le monde industriel, bien servi par des médias eux-mêmes à l’abri de la concurrence internationale et vivant totalement ou partiellement de l’argent public.

Comme l’écrit Alain Madelin dans son témoignage, la compétitivité d’un pays est le produit de la compétitivité de ses entreprises et de ses systèmes publics et sociaux. Ces derniers sont une réserve de productivité phénoménale que le pouvoir ne traite pas. Quant à nos entreprises l’actualité montre malheureusement que ces mêmes pouvoirs publics dans la gestion du choc énergétique continuent d’arbitrer en faveur du consommateur et en défaveur des producteurs. La désindustrialisation se poursuit et la réindustrialisation est loin…

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