Analyse économique

mai 2017

Ralentissement de la productivité mondiale : c’est grave ? Partie 1

« La productivité n’est pas tout.
Mais dans le long terme, elle représente presque tout. »
Paul Krugman

L’économie mondiale se porte mieux et les inquiétudes de 2016 ont fait place à une vision plus favorable pour 2017. Dans la plupart des économies développées, le taux de chômage baisse rapidement. Cette baisse est d’ailleurs rapide par rapport à un niveau de croissance économique qui reste faible par rapport à ce que nous avons pu connaître par le passé. La croissance actuelle est donc particulièrement riche en emplois. Bonne nouvelle ? Partiellement… car c’est aussi le signe d’une croissance plus faible de la productivité. Pour répondre en détail à cette question, nous vous proposons de revenir dans l’article de ce mois-ci sur les fondamentaux
de la productivité avant d’analyser plus en détail la situation actuelle le mois prochain.

Qu’est-ce que la productivité ?

Pour mieux la comprendre, il faut revenir sur les déterminants de la croissance. Si l’on fait abstraction du cycle économique, c’est-à-dire du fait que les phases d’expansion alternent
avec les récessions, la croissance de l’économie est la somme de trois choses :

• La croissance de l’emploi (le nombre d’heures travaillées) ;
• La croissance des moyens mis à la disposition des travailleurs (machines, logiciels…) ;
• La croissance de la productivité globale des facteurs.

Pour résumer, cette productivité globale des facteurs mesure la capacité à produire à partir d’une combinaison donnée de facteurs de production (travail et capital). Prenons l’exemple de deux personnes qui vont consacrer une heure à produire des épingles à partir d’une même machine. Si la première produit deux fois plus d’épingles en une heure que l’autre, on dira que sa productivité globale est le double de celle de l’autre.

Cette productivité globale des facteurs ne se mesure pas directement ce qui fait que l’on regarde souvent la productivité horaire du travail, qui englobe la productivité globale des facteurs et le capital mis à disposition. Dans notre exemple, le rapport de productivité horaire est toujours de deux, mais si l’on mettait entre les mains de la deuxième personne une machine deux fois plus chère, mais deux fois plus efficace, il se retrouverait à produire autant d’aiguilles que le premier. Leurs productivités horaires seraient donc égales, même si leur productivité globale des facteurs n’est pas la même.

Un exemple chiffré permettra de comprendre l’importance de la productivité. Entre 1955 et 2015, le PIB français a été multiplié par 5,4 en volume. Comme le montre le tableau ci-dessous, cela s’est fait essentiellement grâce à la croissance de la productivité horaire qui a permis de compenser notamment la baisse du nombre d’heures travaillées. On retrouve l’idée évoquée dans la citation de Paul Krugman en exergue de ce texte : sur le long terme, c’est bien la croissance de la productivité qui assure le bien-être d’une économie.

Décomposition de la croissance du PIB en France entre 1955 et 2015

decomposition-croissance-PIB-france-entre-1955-2015

Qu’est-ce qui fait la productivité d’une économie ?

Toutes les unités de production ne sont pas identiques et l’on observe une très grande hétérogénéité entre les niveaux de production au sein d’un secteur. La productivité d’une économie, d’un pays n’est jamais que la moyenne de la productivité de toutes les unités de production qui la composent. Elle dépend donc de la manière dont les ressources (travail et capital) vont être allouées aux différents acteurs de l’économie, aux différents secteurs. Il y a donc un effet allocation à l’œuvre. Par exemple, les entreprises les plus productives vont gagner des parts de marché et donc faire progresser le niveau agrégé de productivité, mais de très nombreuses logiques sont à l’œuvre dans cet effet allocation. Si pour diverses raisons, une économie alloue davantage de ressources à un secteur dont la croissance de la productivité est tendanciellement plus faible, sa productivité agrégée va en pâtir. A titre d’illustration, le graphique ci-dessous présente l’évolution de la productivité dans les principaux secteurs de l’économie française. Il est clair que la désindustrialisation, toutes choses égales par ailleurs, limite le potentiel de croissance de l’économie française.

Croissance annuelle de la productivité horaire par secteur moyenne 1995-2015

croissance-annuelle-productivite-horaire-secteur-moyenne 1995-2015

Au sein de chaque secteur, on observe également une très grande hétérogénéité de niveau de productivité. Certaines entreprises vont être beaucoup plus efficaces que les autres, leur productivité globale des facteurs étant bien plus élevée. On dit qu’elles forment la frontière technologique d’un secteur. Ce concept de frontière technologique est également valable à l’échelle de la planète entre les pays : les États-Unis sont considérés comme le pays frontière technologique depuis le début du XXIe siècle.

On peut donc distinguer deux moteurs de la croissance de la productivité agrégée :

La croissance de la productivité à la frontière technologique. Elle est essentiellement déterminée par le progrès technologique et l’innovation.
La diffusion de la productivité de la frontière technologique vers le reste
de l’économie.
Les entreprises suiveuses ou les pays éloignés de la frontière technologique vont progressivement adopter les méthodes, les innovations, les appareils développés à la frontière technologique. Ce mécanisme a notamment été très puissant en Europe et au Japon entre la fin de la Deuxième Guerre mondiale et le milieu des années 90. Ces économies se sont progressivement rapprochées du niveau de productivité
des États-Unis. C’est un phénomène de convergence.

Pour ces deux moteurs, la croissance de la productivité passe autant par l’investissement matériel ou immatériel (brevets, logiciels, mais aussi le capital humain avec la formation) que par le développement de la productivité globale des facteurs (réorganisation, amélioration des processus de production…) au travers d’innovations. Le graphique ci-dessous permet de visualiser ces différentes influences.

Les déterminants de la croissance de la productivité agrégée

les-determinants-croissance-productivite-agregee

Qu’est-ce qui influence la productivité ?

Le cadre dans lequel les entreprises évoluent est un puissant déterminant de la croissance de la productivité. De nombreuses études montrent que les pressions concurrentielles sont positivement corrélées à la croissance de la productivité. Plus une entreprise est soumise à la concurrence, plus elle sera incitée à accroître sa productivité. C’est ainsi que le niveau de réglementation des marchés en influant sur le niveau de compétition est un facteur que les études statistiques jugent important. De même, les effets de diffusion sont très corrélés à l’ouverture internationale tant au niveau du commerce que des investissements directs.
La mobilité des facteurs, la longueur des procédures de faillite ou la réglementation du marché du travail ont une influence très forte sur la capacité d’une économie à réallouer des facteurs de production vers les entreprises les plus productives.

Conclusion

La productivité est une notion fondamentale de l’économie et demeure le principal moteur de l’amélioration de nos niveaux de vie. Armés des concepts présentés ci-dessus, nous pourrons donc le mois prochain nous interroger sur ce ralentissement de la productivité que l’on observe à l’échelle de la planète. Quelles sont ses raisons ? Est-il permanent ? Que faire ? Alors que la croissance démographique va devenir beaucoup moins porteuse dans les prochaines décennies, si ce ralentissement se confirme, il faudrait alors revoir nettement nos perspectives de croissance à long terme.

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