Au fil des lectures : reçu 10/10

février 2016

« Une vérité appartient, non pas au premier qui la dit, mais au premier qui la prouve. » (traité 1ère ed.)

Le ministre et le philosophe : Macron expliqué par Bergson

On ne s’arrêtera pas sur ceux qui ont obtenu un « mea culpa » du Ministre de l’économie ayant déclaré le 20 janvier sur BFM : « la vie d’un entrepreneur est bien souvent plus dure que celle d’un salarié…il peut tout perdre, lui, et il a moins de garanties. Les entrepreneurs sont des gens qui sont partis de rien, qui travaillent beaucoup, qui ne s’arrêtent pas le soir et s’arrêtent rarement le week-end ». Que les censeurs du ministre s’interrogent seulement : si c’est la vie la vie d’entrepreneur qui est plus facile que celle du salarié, pourquoi la France n’en compte-t-elle pas davantage ?

Plus intéressante toutefois est la question à laquelle ne répond pas Macron, mais que traite Henri Bergson (1859 -1941) : si c’est plus dur, pourquoi y a-t-il donc des entrepreneurs ? La réponse ne se réduit pas à des écarts de facilité. Elle est un peu moins simple et le philosophe donne quelques clés :

«  Mais pourquoi l’esprit s’est-il lancé dans l’entreprise ? Quel intérêt avait-il à forer le tunnel ? (…) La pensée qui n’est que pensée, l’œuvre d’art qui n’est que conçue, le poème qui n’est que rêvé, ne coûtent pas encore de la peine ; c’est la réalisation matérielle du poème en mots, de la conception artistique en statue ou tableau, qui demande un effort. L’effort est pénible, mais il est aussi précieux, plus précieux encore que l’œuvre où il aboutit, parce que grâce à lui on a tiré de soi plus qu’il n’y en avait, on s’est haussé au-dessus de soi-même. Or, cet effort n’eût pas été possible sans la matière : par la résistance qu’elle oppose et par la docilité où nous pouvons l’amener, elle est à la fois l’obstacle, l’instrument et le stimulant ; elle éprouve notre force, en garde l’empreinte et en appelle l’intensification. (…)

La nature nous avertit par un signe précis que notre destination est atteinte. Ce signe est la joie. Je dis la joie, je ne dis pas le plaisir(…). La joie annonce toujours que la vie a réussi, qu’elle a gagné du terrain, qu’elle remporte une victoire : toute grande joie a un accent de triomphe. Nous trouvons que partout où il y a joie, il y a création : plus riche est la création, plus profonde est la joie. Le commerçant qui développe ses affaires, le chef d’usine qui voit prospérer son industrie est-il joyeux en raison de l’argent qu’il gagne et de la notoriété qu’il acquiert ? Richesse et considération entrent évidemment pour beaucoup dans la satisfaction qu’il ressent, mais elles lui apportent des plaisirs plutôt que de la joie, et ce qu’il goûte de joie vraie est le sentiment d’avoir monté une entreprise qui marche, d’avoir appelé quelque chose à la vie. »

Henri Bergson, La conscience et la vie (1911).

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